Victimes oubliées.
Un titre comme « Le Goujon folichon, cabaret de maison close » n'est pas du genre à attirer même une attachée de presse, pourtant habituée aux intitulés les plus originaux. Et on a tous tort ! Le comédien-chanteur le dit d'emblée : ce spectacle est un hommage à son aïeule qui tint un de ces établissements du bord de Seine qui accueillait les pêcheurs malheureux pour se sustenter en musique et dont les serveuses n'étaient pas farouches. Il a le sens de la famille, ce baryton, et il ne se permettrait pas la moindre vulgarité à l'égard de son ancêtre, ni de ses employées. Son registre, accompagné comme à l'époque à l'accordéon, est celui des chansons réalistes, poétiques ou fantaisistes rappelant le contexte du début du siècle dernier. Même le « J'ai besoin de baisers » de Guy Favereau et Marc Berthomieu par lequel il entame le spectacle ne dérape jamais malgré les jeux de mots transparents.
Et ce qui aurait pu n'être qu'un récital de chansons plus ou moins gaillardes devient ici, oui, un véritable coup de chapeau, presque un tendre devoir de mémoire à l'égard des malheureuses et malheureux qui peuplaient ces lieux.
Entre Julien Fanthou qui fait ce qu'il veut de sa voix tout en incarnant un personnage aussi interlope qu'émouvant et Gérald Elliott qui sort les bonnes émotions de son accordéon tout en jouant le complice par ses attitudes et mimiques, le duo gagne son pari haut la main.
Le public découvre alors à travers un choix éclectique d'airs* tout un monde, qui le fait sourire autant qu'il l'interroge en creux sur ses propres dérives. Il reste par ailleurs ébahi qu'on puisse parler d'un tel sujet en évitant autant la grivoiserie que l'hypocrisie.
Pierre FRANÇOIS
« le Goujon folichon, cabaret de maison close », avec Julien Fanthou (baryton) et Gérald Elliott (accordéon) mis en scène par Caroline Loeb. Vendredi et samedi à 19 heures jusqu'à fin mai au Théâtre du marais, 37, rue Volta, 75003 Paris, métro Arts-et-métiers, tél. : 01 71 73 97 83.
* On compte en tout quinze chansons qui sont, outre la première déjà citée : « Remontrances » – Pierre Philippe / Juliette Nourredine, « Fleur de berge » – Jean Lorrain / Yvette Guilbert, « Le Tango stupéfiant » – R. Carcel / H ; Cor et P. Olive, « Le grand frisé » – Emile Ronn / Leo Daniderff, « Dans ma rue » – Jacques Datin, « Les Femmes ça fait pédé » – Serge Gainsbourg, « La Purée » – jamais enregistré – Serge Gainsbourg, « La Môme caoutchouc » – Serge Veber / Maurice Yvain, « La Vipère » – Jean Rodor / Vincent Scotto, « Sur l'oreiller » – Juliette Nourredine, « On dit qu'il en est » – Georges Blanes / Michel Rivgauche, « Le Tsoin-tsoin » – Géo Koger / Vincent Scotto, « Les petits hôtels » – Bernard Dimey / Léo Ferré, « Le Chanteur du métro » – Norbert Aboudarham.
D'un point de vue intellectuel, et on sort ici du domaine de la critique, à une époque où il est de moins en moins nécessaire de payer pour trouver une âme compatissante et où on s'encanaille désormais à domicile via internet, il n'est pas inutile d'écouter ce que ces femmes disaient d'elles et de leur condition dans ces chansons. Le débat n'est pas de savoir s'il faut rouvrir ou non ces lieux, mais de se souvenir et de réaliser que les conditions de « travail » contemporaines sont encore pires.
Photo : Miriam Tirler.