Théâtre : « La Foire de Madrid », de Félix Lope de Vega jusqu’au 25 septembre à l’Epée de bois puis en tournée.

Farce, mais fine.
« La Foire de Madrid », d’après Félix Lope de Vega est une pièce qui, heureusement, va partir en tournée puis revenir après sa création à l’Épée de bois. Le metteur en scène n’est pas un inconnu : Ronan Rivière a créé un mémorable « Roman de Monsieur Molière »* et osé un « Nez »** de Gogol masqué au moment de la pandémie. Entre autres…
Il reprend la formule du piano qui introduit ou soutient les humeurs de la scène. La musique est remarquable tout en sachant se borner à accompagner le jeu. Si elle est d’une époque (XIXe siècle) différente de celle du texte (XVIe siècle), elle lui est parente par sa vivacité, légèreté et fougue. Manière d’insister sur le caractère espagnol de la pièce, cette dernière est également émaillée de trois chants qui, comme les airs, ont été composés par Manuel de Falla*** .
On comprend qu’un certain Jean-Baptiste Poquelin se soit inspiré de Lope de Vega : lui aussi, déjà, livrait à ses spectateurs la description d’eux-mêmes pour les faire rire à travers un spectacle qui ne gardait de la farce que les éléments (quiproquo, duperie, comique de situation…) susceptibles d’être joués avec nuance. De la sorte, on s’amuse énormément à la vue de cette tragi-comédie au rythme endiablé. Cette réserve dans l’excès permet la mise en valeur de notions morales tantôt traditionnelles (la valeur du mariage), tantôt plus modernes (l’éloge des femmes chef de famille).
Pour ce qui concerne le caractère des personnages, on remarque d’abord quelques traits communs : des hommes ridicules et dragueurs, des femmes « serpent » et victimes. Tous sont attachants du fait même de leurs excès d’amour, de sensualité ou de superficialité. Une mention spéciale doit être faite pour le valet bouffon qui, échappant à ces catégories, fait d’autant plus rire qu’il valorise parfaitement le peu de texte qu’il a.
L’intrigue, double au début, devient vite unique sans que celle qui est résolue devienne inutile. On suit avec un plaisir non dissimulé les péripéties de ce triple feuilleton sentimental. Le talent de l’auteur est de parvenir à énoncer des propos relativement classiques dans des contextes qui ne les laissent pas prévoir.
Les comédiens et comédiennes font preuve d’une certaine unité dans leur interprétation, ce qui renforce l’aspect comique de l’ensemble : tous sont lâches et angoissés, ignorant la moitié de ce qui va leur arriver (mais qui est prévisible pour le spectateur). Les déplacements sont régulièrement réglés comme des ballets (avec une force comique qui évoque – de loin, mais quand même – Jiří Kylián pastichant la musique classique*).
Des caractères se détachent néanmoins, et mûrissent chacun à sa manière. Les comédiens savent en rendre compte de façon naturelle alors que l’écriture ne le suggère pas particulièrement.
On sent bien que la mise en scène accentue le côté espagnol de l’œuvre, traduisant ainsi la réputation faite à ce peuple. Certes, le texte insiste sur les excès des uns et des autres, le caractère sanguin des hommes et astucieux des femmes, mais qu’en est-il de l’intention de l’auteur, de l’interprétation du metteur en scène et de la réalité sociologique ? Bien malin qui pourrait le dire…
Les lumières sont simples et en phase avec l’action ; en cela, elles sont symétriques de la musique qui, elle, l’est avec les caractères tourmentés.
On tient là un spectacle équilibré, joyeux, rythmé et qui trouve le moyen, in fine, de délivrer un message d’une moralité toute relative. Bref, on nage dans l’humain avec tout ce qu’il a de contradictions entre ses intentions et son action. Un vrai plaisir !
Pierre FRANÇOIS
« La Foire de Madrid », de Félix Lope de Vega. Adaptation et mise en scène : Ronan Rivière. Avec : Laura Chetrit, Michaël Giorno-Cohen, Ronan Rivière, Luc Rodier, Jérôme Rodriguez, Amélie Vignaux, Hassan Tess. Musique : Manuel de Falla, jouée au piano sur scène par Olivier Mazal. Décors : Antoine Milian. Costumes : Corinne Rossi. Lumière : Marc Augustin-Viguier.
Du jeudi au samedi à 21 heures, samedi et dimanche à 16 h 30 jusqu’au 25 septembre à l’Epée de bois, Cartoucherie, 1, route du champ de manoeuvre, 75012 Paris, tél. 01 48 08 39 74 (du lundi au vendredi,de 14 heures à 18 heures), Métro Château de Vincennes et sortie n°3 (en tête de train) pour accéder au bus n°112.
Tournée : le 14 janvier 2023 au TGP de St-Cyr-L’Ecole, le 20 janvier 2023 au Théâtre de la Celle Saint-Cloud, le 16 février 2023 au CCJV de Marly Le Roi.
En mars, de nouveau à Paris.