Livres : Gwerz Denez, par Denez aux éditions Ouest-France (suite).

Style de la gwerz et influence sur la littérature écrite.
L’influence des gwerz sur la littérature est ancienne : Denez fait remarquer que Tristan et Iseut est l’adaptation de l’une d’elles (« Bran le prisonnier de guerre »), les « Lais bretons » de Marie de France sont la transcription de plusieurs autres, Tolkien avait le Barzaz Breiz dans sa bibliothèque et ce n’est peut-être pas complètement par hasard que le romantisme est arrivé après que les auteurs français du XIXe s’y sont intéressés…
L’oralité de cette littérature, explique Denez, commande un style dicté par la nécessité de mémoriser. La rime qui reprend une partie de la précédente, des jeux de répétitions ou d’inversions, le mot crochet, le fait qu’un vers pousse et en entraine un autre, tout cela est certes commandé par le genre littéraire, mais participe aussi de ce qui fait l’âme de la gwerz.
Prenons un exemple simple avec une des gwerz contenues dans le livre de Denez, celle du « Dragon emprisonné ». Dans le passage suivant, on remarque combien les mots en gras, tout en rythmant le récit, créent l’ambiance dramatique :

Comme la reine se baignait sereine
On entendit soudain crier

Crier une voix affolée
« Alerte, alerte soldats

Alerte, prenez garde
Un dragon est lâché ! »

À ces mots, la bête cracha du feu
Et tous de hurler d’épouvante

« Au feu, au feu, fuyons
Fuyons, soldats, fuyons vite ! »

Hélas, il était trop tard
Le dragon avait craché de nouveau

Et la ville de s’embraser
Avec les envahisseurs

Tous sans exception
Seule la reine en réchappa

Seule la reine et son fils
Qui l’avait rejoint dans la fontaine
Pour se protéger des flammes.

On remarque aussi l’économie de moyens commandée par la gwerz. Un octosyllabe, fait remarquer Denez, n’autorise que peu de mots pour tout dire – il faut insérer une idée par ligne – et le fait est renforcé par l’obligation de répétition. Si cette sobriété favorise l’imagination de l’auditeur ou du lecteur, il y a aussi là une ascèse qui contraint l’auteur. Auteur qui, autre caractéristique de la gwerz, doit se mettre en scène pour authentifier le récit. Ici, Denez donne la source de ce chant : dans un village, qu’il nomme, un porche en ruine dont le blason montre un dragon et une tour en feu. Le seul cas dans lequel Denez explique s’être affranchi de la règle qui commande au barde de narrer ce qu’il a vécu est celui de « La Gwerz de Kiev ».
Il a pensé y être autorisé dans la mesure où, avant lui, personne n’avait vraiment écrit de poésie sur l’Holodomor. Mais a quand même besoin de s’en justifier dans le premier vers : « Saint Hervé patron des bardes / m’a donné de l’inspiration ». Si cette gwerz est actuelle, elle n’a pourtant pas été écrite récemment, mais là, on touche au côté visionnaire des auteurs de littérature. Impossible de choisir un extrait qui puisse exprimer à lui seul l’intensité de cette gwerz, disons simplement que « le Pélican » d’Alfred de Musset n’est qu’un exercice d’esthétisme à côté, même si la fin est identique.
Si cette forme de poésie, qui était encore plus difficile à concevoir dans ses débuts, lorsqu’elle était constituée de tercets, convient à Denez, c’est justement parce qu’elle est très codifiée. Il y a une trame, qui sert de cadre au poète. Chaque vers est comparable au fil que l’on ajoute sur le métier à tisser. Cela le sécurise et lui facilite la tâche.
(à suivre)
Pierre FRANÇOIS
« Gwerz Denez », de Denez, aux éditions Ouest-France. 816 pages. 15,5 x 23 cm. 25 €. ISBN : 978-2-7373-8931-3. Dépôt légal : octobre 2023. editions.ouest-france.fr

Photo : Denez.

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