Livres : Gwerz Denez, par Denez aux éditions Ouest-France (début).

De la gwerz orale au Barzaz-Breiz.
Quand on pense à Denez, on entend immédiatement sa voix inimitable, qui rend si bien compte de la complexité de l’âme bretonne à travers le chant de la gwerz, ce mot intraduisible en français qui évoque certes la complainte, mais augmentée de dimensions sacrées, fantastiques et authentiques (l’auteur rapporte un événement auquel il a assisté). On oublie alors qu’il est lui-même auteur de nombreuses gwerz.
Le pavé qu’il publie le rappelle, dans une présentation luxueuse aux éditions Ouest-France. C’est, dit-il, « l’œuvre d’une vie ». De la malle dans laquelle il les rangeait, il en a extrait cent trente-six, ensuite traduites en français, puisque pour lui aucune langue ne domine l’autre, chacune cultivant ses différences (le français étant plus répandu et le breton plus que millénaire). Ce dernier travail a demandé un délai considérable, car « on passe son temps à tamiser le texte » et, parfois, une rime amène une nouvelle notion. Cela rejoint le travail qu’accomplissaient les bardes, génération après génération, sur un même poème. L’expression bretonne est très juste qui ne parle pas d’écrire, mais de « construire » une gwerz. Et, mais c’est un fait observable dans beaucoup de disciplines artistiques, les premiers jets sont souvent très bons, même si on les retravaille après.
Celle qui a planté la graine, ce fut sa grand-mère, quand – il avait dix ans – elle lui remit un cahier violet contenant quelques gwerz qu’elle avait recopiées et illustrées avec des images de toute beauté, dont « Le nouveau bateau de Morlaix », qu’il connaît encore par cœur. Il a alors ressenti un fort sentiment de sacré et commencé à en écrire, suivant les deux règles de l’octosyllabe et du fait de composer sur ce qu’il voyait (sa première relate un accident de la route).
La pleine révélation eut lieu plus tard. Alors professeur de breton à Carhaix, celui qui était plutôt attiré par la peinture et le dessin doit préparer un cours sur la littérature orale. Pour ce faire, il lit le Barzaz-Breiz. Le découvre, le dévore et comprend alors pourquoi George Sand invitait les gens de plume à se découvrir devant tout Breton, jugeant certains de ces poèmes supérieurs à l’Iliade d’Homère (pour lire sa correspondance à ce sujet, cliquer ici).
Il sent immédiatement que l’on est déjà dans la littérature, au-delà du chant, et qu’il avait sûrement un ancêtre barde.
Il faut saisir ce qu’est le Barzaz-Breiz. Traduit littéralement, il s’agit d’un « ensemble de poèmes en breton ». Ces poèmes – et ici, c’est plus que l’histoire d’une vie puisque l’on trouve quatre collecteurs – ont été recueillis par Marie-Ursule de Feydeau de Vaugien, son fils Théodore de la Villemarqué (qui opérera l’édition de la compilation), madame de Saint-Prix et René de Kerambrun. La première édition, en 1839, comporte quatre-vingts pages d’introduction à « la poésie populaire en Bretagne » et se présente sous la forme de deux volumes in-12, la sixième édition est bien plus importante et celle « de poche », chez Maspero et monolingue, en 1981, compte 540 pages !
Mais ces livres ne sont que l’ultime étape d’une longue tradition orale – la même que celle que vécut le « romancero » espagnol, cousin de la gwerz, tandis qu’outre-Manche Tom Taylor traduisait certaines de ces dernières en octosyllabe et en rimes anglaises. Denez explique qu’il est logique que George Sand trouve tant de qualités à cette poésie – on devrait plutôt parler de chants de bardes (d’où le mot « Barzaz »), dont la mélodie était d’ailleurs transcrite dans les premières éditions du Barzaz-Breiz – puisque chaque barde ajoutait, modifiait et peaufinait le travail de ses prédécesseurs. Comment l’œuvre écrite par un seul auteur, aussi génial soit-il, peut-elle résister à un travail collectif d’amélioration permanente ? La publication du livre s’est d’ailleurs inscrite dans cette logique : dans le huitième paragraphe de son préambule aux première et seconde éditions, Théodore de la Villemarqué explique que « la seule licence qu’il [le collecteur] puisse se permettre, est de substituer à certaines expressions vicieuses, à certaines strophes moins poétiques de cette version [la plus complète de toutes celles recueillies], les stances, les vers, ou les mots correspondants des autres leçons. »
(à suivre)
Pierre FRANÇOIS
« Gwerz Denez », de Denez, aux éditions Ouest-France. 816 pages. 15,5 x 23 cm. 25 €. ISBN : 978-2-7373-8931-3. Dépôt légal : octobre 2023.

Photo : Emmanuel Pain.

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