Fulgurances mystiques.
La pièce n'avait pas été jouée à Paris depuis trente ans. En raison de la difficulté à rendre un tel somment de la littérature chrétienne ? Peut-être…
En effet, monter le « Dialogue des carmélites » est une entreprise héroïque. Il y a d'abord le texte de Bernanos et ses fulgurances. Il y a ensuite une psychologie des personnages si fine que le moindre faux pas fait chuter la funambule des cieux vers lesquels elle a les yeux braqués à la fange de la « nature humaine », ainsi qu'on le dit pudiquement.
La troupe du Théâtre de l'Arc en ciel a-t-elle gagné son pari ? À moitié. Les séquences liturgique – pourtant si bien chantées – ralentissent un rythme déjà méditatif. Le personnage de Blanche de la Force – le plus difficile : comment jouer l'exaltée qui ne trouvera son équilibre qu'à la toute fin de la pièce sans donner le sentiment de surjouer ? – agace parfois, du fait même de son caractère excessif. Certains personnages secondaires n'existent que par éclipse ou sont doté d'une psychologie trop sommaire.
Faut-il pour autant bouder cette pièce ?
Non, car en regard de ces quelques défauts de jeunesse, on y trouve le verbe brûlant et intact de Bernanos (rien que pour cela, il faudrait revenir la voir au moins trois fois) et des interprétations magistrales, d'abord des deux mères prieures qui se succèdent, mais aussi de l'aumônier. Et puis, il reste le principal, s'agissant d'une pièce mystique chrétienne : la troupe a déjà recueilli le témoignage de plusieurs personnes étrangères à la foi qui se sont dites touchées par ce travail. Il ne faut donc pas hésiter à aller voir ce spectacle, en toute lucidité peut-être, mais en se rendant aussi compte qu'il est nettement plus difficile de monter « Le Dialogue des carmélites » que « Mon cul sur la commode »…
Pierre FRANÇOIS
« Dialogue des carmélites », de Georges Bernanos, d'après une nouvelle de Gertrude von Le Fort, d'après le récit de Mère Marie de l'Incarnation. Avec : Sophie-Iris Aguettant, Camille Metzger, Ségolène van der Straten, Romane Bricard, Marie Guignard, Cécile Maudet, Lorenzo Charoy, Gabriel Perez, Julien Marcland, Marie-Aimée du Halgouët, Alexandra d'Hérouville, Anne-Sophie Dupré la Tour, Juliette Fischer-Barnicol, Iana Serena de Freitas Ribeiro, Sylvie Mahieu. Jusqu'au 21 février du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 16 heures au Théâtre de l'Epée de bois, Cartoucherie, route du champ de manœuvre, 75012 Paris, tél. : 01 48 08 39 74, www.theatrearcenciel.com.
La pièce sera ensuite jouée du 23 juin au 3 juillet au château de Machy, 69380 Chasselay, près de Lyon.
Photo : tekoaphotos.