Théâtre : « Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas », d’Alexandra Badea, en tournée avec l’ATP.

Clinique.
Lauréat 2018 de l’appel à projet de la fédération des amis du théâtre populaire*, Alexandra Badea explore les tréfonds de l’âme de ses personnages tandis que Vincent Dussart les situe dans une mise en scène plus qu’épurée.
Le thème de la pièce est original en soi : trois chercheurs sont envoyés dans un pays du tiers-monde pour étudier l’action des associations humanitaires. Mais cette étude va faire remonter leurs propres malaises et soudain l’un d’entre-eux s’interroge : « On a comme point de départ l’impact de l’action humanitaire sur la population, mais finalement c’est pas si intéressant que ça. Tout le monde en parle. D’autres chercheurs sont passés par là. En revanche, personne n’a jamais retourné la donne. Pourquoi on ne parlerait pas de l’impact de l’action sur les humanitaires… Si c'était les humanitaires qui se font sauver par ces populations ? ».
À partir de là, l’équipe se fragmente entre le responsable administratif qui a su obtenir les financements et la scientifique qui instinctivement a senti qu’il y a là une idée à creuser d’autant plus profondément qu’elle n’a pas été abordée et qu’elle se heurte à des résistances. Au milieu, une chercheuse novice, de quel côté basculera-t-elle ?
Si la pièce a un aspect fictionnel, elle est enracinée dans la réalité dans la mesure où l’auteur a rencontré des universitaires, des chercheurs et des membres de telles associations avant d’écrire.
Quant au style de la mise en scène, il faut être adepte des contrastes violents (les lumières ne sont pas filtrées et les ombres brutales) et d’une montée progressive de l’intrigue pour entrer dedans. C’est vrai, cela nécessite un minimum d’effort de la part du spectateur occasionnel, mais qui en vaut largement la peine. Car, si l’on se demande pendant un (court) moment qui sont les personnages, on a par contre un accès direct à leur psychologie, à leur inquiétudes, à leurs questions. Tous éveillent, chacun à sa façon, un écho en nous. Et on ressort de ce spectacle avec une vraie notion à méditer. Bien connu des sociologues américains depuis la fin du XIXe siècle sous le nom d’acculturation (ou, en français d’« interpénétration des civilisations ») et des théologiens dès le XVIIIe siècle à travers la notion un peu différente d’inculturation**.
Pierre FRANÇOIS
« Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas », d’Alexandra Badea. Avec Juliette Coulon, Xavier Czapla, Lætitia Lalle Bi Bénie. Chorégraphie : France Hervé. Musique : Roman Bestion. En tournée le 2 avril à 20 h 30 à l’ATP de Poitiers, le 4 à 20 h 30 à l’ATP de Dax, le 6 à 20 h 45 à l’ATP de Villefranche-de-Rouergue, le 9 à 20 h 30 à l’ATP de Millau, le 12 à 20 heures à l’ATP de Roanne, le 16 à 20 h 30à l’ATP de Lunel, le 25 à 20 heures à l’ATP d’Orléans.
* Créé en 1953, l’association des amis du théâtre populaire (dans le sillage de l’association des amis du TNP et après la « bataille de Chaillot » en 1952) se déplace vite à Avignon pour obtenir le maintien de Jean Vilar à la tête du festival. Dès 1955, les ATP d’Avignon organisent une première saison théâtrale. En 1966, plusieurs ATP se groupent en fédération pour réduire les coûts fixes, échanger les expériences, augmenter la diffusion des pièces qu’elles programment. En 1977, les ATP d’Alès crée le « Festival du jeune théâtre » centré sur la recherche, actuellement devenu « Les ATyPiques ». Depuis 1993, la fédération – qui regroupe des spectateurs toujours aussi passionnés – coproduit avec l’aide de l’État un auteur francophone contemporain. Cette année, c’est donc Alexandra Badea (dont le journal a déjà signalé sa pièce précédente « Pulvérisés ») qui a remporté ce concours dont le jury n’est composé que de représentants du public.
** définie par l’encyclique Slavorum Apostoli, 21, de Jean-Paul II comme « L'incarnation de l'Évangile dans les cultures autochtones, et en même temps l'introduction de ces cultures dans la vie de l'Église. » et par le père Brendan Cogavin C.S.Sp en février 1996 lors du  Symposium du Conseil pontifical pour la culture comme «  le dialogue continuel entre la foi et la culture ».

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