Théâtre : « Le Misanthrope », de Molière au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris.

L’ébauche et le bijou.
Voir à la suite « L’École des maris » et « le Misanthrope » au Théâtre du Nord-Ouest – seul lieu parisien où l’on peut faire de telles expériences – est une aventure intéressante. En effet, l’on trouve dans « L’École des maris » des personnages – deux frères, l’un modéré et bien inséré, l’autre strict et haïssant toutes les modes – apparentés à Alceste et Philinte, avec en plus le thème du mariage que l’on veut imposer à sa propre pupille (que l’on trouvera l’année suivante dans « L’École des femmes », avec Arnolphe).
Si « L’École des maris », créée en 1661, est intéressant du point de vue documentaire, cette pièce reste une ébauche à côté de « L’École des femmes » qui constitue le véritable virage dans la façon de traiter les personnages, en sortant de la farce pour leur construire une réelle psychologie. C’est encore plus vrai par rapport au « Misanthrope » qui, lui, date de 1666.
Cette dernière pièce est un régal. Le texte et l’intrigue sont bien soignés. Quant aux interprètes, ils les mettent en valeur à travers un jeu qui n’oublie aucun détail, du froncement de sourcil au fait d’apporter ou remporter un plateau de verres en passant par la manière de traiter des répétitions (« Monsieur… » quatre fois, « Je ne dis pas cela » trois fois) en donnant à chaque fois une nuance différente au propos. On croit à tous les personnages, aucun ne surclassant ou étant à la remorque des autres. La façon de montrer Alceste et Philinte est astucieuse : au lieu de montrer l’un excessif et l’autre mou, Alceste raisonne souvent et s’emporte rarement, Philinte faisant de même, mais un cran en dessous. Cela donne une autre valeur au texte, on sort vraiment de la farce pour entrer dans l’analyse sociale alors que rien n’a été changé des propos écrits par Molière. Cela n’empêche pas le ton de monter entre les deux, mais progressivement, comme dans la vie. De la même façon, Alceste, au lieu de parler de son amour pour Célimène comme d’un illogisme propre à la nature humaine, en conçoit presque de la culpabilité. Le jeu de Célimène est bien équilibré entre la superficialité et le calcul (rapide, car il lui faut plus d’une fois rattraper une situation fâcheuse à la volée). On regrette juste la discrétion d’Éliante, qui ne se met jamais dans la lumière, que ce soit au propre comme au figuré. Arsinoé le tente, mais en vain, ce qui rend encore plus visible la jalousie de la prude par obligation, illustrant par avance le mot de Voltaire selon lequel les femmes, comme les girouettes, se fixent quand elles rouillent. Quant aux petits marquis, ils sont parfaitement justes et dans leur superficialité et dans la façon d’accueillir leur disgrâce. Oui, cette pièce vaut la peine d’être vue et revue, même en l’absence, regrettée, de Marie Hasse dans la distribution.
Pierre FRANÇOIS
« Le Misanthrope », de Molière. Mise en scène : Edith Garraud. Avec Philippe Catoire, Vincent Gauthier, Frédéric Morel et, en alternance, Aurélien Bédéneau, Victor Brusset, Ludovic Coquin, Rodolphe Fonty,Joseph Gabison, Marie Hasse, Laurence Hétier, Joana Kojundzic, Guillaume Millet, Allen Nicolae, Coralie Salonne, Florence Tosi, Elise Vega Beron. Costumes :Frédéric Morel. Durée : 2 h 15. Le dimanche 3 décembre à 17 h 30, lundi 4 décembre à 20 h 30, mardi 5 décembre à 20 h 30, mercredi 6 décembre à 20 h 30, dimanche 10 décembre à 16 h 30, mardi 12 décembre à 20 h 30, mercredi 13 décembre à 20 h 30, dimanche 17 décembre à 16 h 30 au Théâtre du Nord-Ouest, 13, rue du Faubourg Montmartre, 75009, Paris. Courriel : public@theatredunordouest.com. Tél. : 01 47 70 32 75. Métro : Bourse (3), Le Peletier (7), Grands Boulevards (8,9) ; bus : Grands Boulevards (20, 39, 48, 67) ; parking : Parc de la Bourse, Parc Chauchat-Drouot. https://www.theatredunordouest.com/calendrier/

Photo : Pierre François.

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