Théâtre : « Impressions d’un songe », d’après « La vie est un rêve » de Calderón au Théâtre du Soleil de Paris.

Réalité rêvée.
Proche de l' « Illusion comique » par la mise en abyme, cette adaptation de la pièce de Calderón peut aussi rappeler « Le Mariage de Figaro » par la façon dont la philosophie et la politique s'invitent – mais moins joyeusement que chez Beaumarchais – ou certaines pièce de Molière pour les psychologies à la fois travaillées et néanmoins carrées des personnages. Elle fait plus que mériter le détour : il faut la voir !
En effet, « Impressions d'un songe » fait partie de ces pièces dont la première représentation révèle déjà qu'elle va tourner ! Ariane Mnouchkine ne s'est pas trompée quant au talent d'Alexandre Zloto lorsque, dès 2001, elle l'accueillait pour sa « Tragédie de Macbeth » puis lui confiait la charge de créer ce qui est devenu le festival Premiers pas.
Lui et sa troupe, le Tafthéâtre, sont partis de « La Vie est un songe », de Calderón, pour l'adapter en en retenant le jeu de miroir déformant entre la réalité et l'illusion.
Deux personnages tiennent une place particulière. Clairon, cousin littéraire de Puck et des bouffons de Shakespeare et, dans la pièce, valet de Rosaure, est à la fois observateur et analyste. Il serait presque à la pièce ce que Saint Jean est aux synoptiques s'il n'était au surplus obsédé par ses intérêts. Clothalde est de son côté à la fois celui qui exprime les enjeux de l'action de façon générale et celui qui est en relation particulièrement étroite avec quatre des sept protagonistes.
Les autres personnages, tous immédiatement crédibles – on croit par exemple à l'hypocrisie d'Astolphe dès qu'il commence sa première phrase et à l'agacement hautain d’Étoile avant même qu'elle ait dit un mot – figurent les pièces complémentaires du puzzle qui s'assemble peu à peu sous les yeux du spectateur.
Car si l'avenir reste mystérieux pour les personnages, il l'est tout autant pour le public qui est embarqué malgré lui dans les incertitudes et paris faits par ceux-là. Le roi a-t-il eu raison d'enfermer son fils ? Le destin et le caractère des êtres sont-ils irrémissibles ? Une femme peut-elle être à la fois lucide et naïve au sujet de l'homme qui la courtise ? Comment exprimer l'amour paternel ou filial ?
La poésie de Calderón et la précision de son vocabulaire sont bien rendus ; on entend parler, par exemple, de « la sidération de te voir ». Le fond de sa pensée, pétrie de christianisme, s'exprime de façon intellectuellement claire sans jamais ennuyer. Clairon disant « Vive la liberté, vive le roi, moi, rien ne me dérange pourvu que je ne sois pas en reste » énonce sous couvert d'égoïsme un paradoxe politique. Le roi – qui joue très bien l'affliction tant explicite qu'intérieure – disant qu'« un roi est humble esclave en sa république » va dans son sens en même temps qu'il énonce le critère qui lui fera abandonner le trône en faveur de son fils.
Ce drame psychologique teinté de désespoir atteint à l'universel puisqu'à la question qui se posera au moment de la Shoah sur « la faute d'être né Juif », il répond déjà, presque quatre siècles avant, que « Le plus grand crime de l'homme, c'est d'être né ! ».
Il faut aussi parler des éclairages, costumes et décors. Ce dernier est aussi sobre que présent : un dallage en dominos et un rideau qui devient à volonté un porche majestueux. On a rarement vu aussi peu de moyens faire autant d'effet. Certes, ceux-ci sont amplifiés, parfois par une musique appropriée (particulièrement lors de l'entrée du roi), toujours par des éclairages capables de souligner toutes les nuances de chaque émotion. Ceux de la scène d'exposition, par exemple, soulignent la dureté, la cruauté de la condition du prisonnier en même temps que sa rage grâce à leur caractère focalisé tout en atténuant ces sentiments grâce au filtrage et au flou des contours de ces taches de lumière. Quant aux costumes, ils révèlent immédiatement le caractère de chaque personnage.
Oui, on tient là une très belle pièce !
Pierre FRANÇOIS
« Impressions d'un songe », d'après « La vie est un rêve » de Calderón, trad. Denise Laroutis. Avec des ajouts de Peter Handke et Franck Chevallay (émissions Sur les épaules de Darwin). Mise en scène : Alexandre Zloto. Création lumières et construction : Paul Alphonse. Création sonore : Julien Torzec. Création costumes : Lucile Lacaze. Jeu : Ariane Bégoin, Franck Chevallay, Boutros El Amari, Charles Gonon, Dan Kostenbaum, Caroline Piette, Yann Policar. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h jusqu'au 14 juin au Théâtre du soleil, petit bâtiment en contrebas du Théâtre de la tempête, route du champ de manœuvre, 75012 Paris, tél. : 01 43 74 24 08, http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/dans-nos-nefs/article/impressions-d-un-songe

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