Théâtre musical : « Romance Sauvage », de Pierre Lericq, au Théâtre du Lucernaire, à Paris.

Couple hypersensible, par Marie.
C'est l'histoire de Manon (Manon Andersen) et de Pierre (Pierre Lericq). Ou plutôt non, c'est l'histoire d'autres. Je est un autre, les autres, c'est nous, tu es un je – et un jeu. Va comprendre. Les dés sont jetés, dès le début. C'est notre histoire.
Comment ne pas penser qu'ils se moquent de nous. De nos émotions – à peine le temps de les vivre. Ces acrobates de la sensibilité, ils sont également crédibles dans tous les registres. Mais  de l'un à l'autre passant si vite qu'on ne sait plus sur quel pied danser. Et jamais ridicules – ils seraient les premiers à en rire. C'est nous qui le serions, de nous laisser, outre mesure, prendre à leur jeu.
Ce sont deux grands inaccessibles. Lui, le beau ténébreux, le toujours mystérieux jusqu'à ses moments les plus pathétiques. Intello, un brin, mais il nous avait prévenus, il nous avait fait signe : il faut suivre. Sous tant d'autodérision, rien de ce qu'il dit n'arrive à rebuter, on reste sous le charme, dût-on n'y rien comprendre.
Elle, de la petite fille, toute petite, la voix fluette, aux quasi vociférations d'un monstre pourtant toujours juste, en passant par le plus suave de la femme fatale. Et toujours la même intensité de présence, ce même regard envoûtant qui nous fait oublier si c'est bien « sérieux » ou si l'on éclatera de rire l'instant d'après.
Pourtant, quoiqu'il nous prenne par toutes nos faiblesses, il s'en faut de beaucoup que ce soit un spectacle facile. Car il est d'une exigence de chaque instant. Du côté des acteurs, ils font montre d'une technique absolument irréprochable, jusque dans le moindre accident. Pas une fausse note, pas un faux pas. Parfaitement ensemble sur scène, en même temps qu'apparemment parfaitement étrangers l'un à l'autre, de nature, de tempérament, d'humeur. Sur le fil tendu entre les deux comédiens, ils jouent leur propre histoire en même temps qu'ils se jouent de leur jeu et de nous pris au jeu – en funambules. Et jamais ne tombent.
Cette exigence nous grandit, spectateurs. Parce qu'au plus bas de nos empathies, on continue de nous attendre au tournant. Tout ce qui nous fait rire nous rend en même temps attentifs au plus sérieux et au plus réfléchi de ce texte, tantôt oral et tantôt très écrit, sur un mode poétique voire à certains moments philosophique.
Dans l'écriture de ce spectacle, souvent les comédiens oublient qu'ils sont au théâtre. Ils en viennent à devoir se le rappeler l'un à l'autre. Pour se remettre dans le droit fil du déroulé prévu. Pierre parfois même reprend la mise en scène qu'il a signée, la direction d'acteur, en mode mineur. On est honoré de se retrouver tout à coup dans le making off. Là, tu vois, on n'y croit pas. Mais justement, il ne s'agit pas d'y croire. C'est notre miroir, et c'est exactement comme si ce reflet qu'il nous renvoie se mettait à parler, et nous disait : « Ne vous y trompez pas ». Comme Pierre nous l'annonçait d'entrée de jeu : bienvenue dans l'opacité du réel.
Marie
« Romance Sauvage », de Pierre Lericq. Avec Manon Andersen et Pierre Lericq. Direction d'acteur : Sylvain Jailloux. Jusqu'au 15 mai au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-champs, 75006 Paris, métro Notre-Dame-des-champs, tél. : 01 45 44 57 34, www.lucernaire.fr

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