Théâtre : « Premier amour », de Samuel Beckett au Studio Marie Bell du Théâtre du gymnase, à Paris.

Cauchemar comique.
Comment décrire l’univers de « Premier amour », ce texte de Samuel Beckett terminé dès 1945, mais publié en 1970, en raison du caractère autobiographique de l’œuvre, alors que l’auteur fait dire à son narrateur : « j’ai toujours parlé, je parlerai toujours de choses qui n’ont jamais existé ou qui ont existé, si vous voulez, et qui existeront probablement toujours, mais pas de l’existence que je leur prête. » ?
Dans ce récit à la première personne, l’auteur se plaît à jouer avec, non seulement les mots, mais surtout l’atmosphère qu’ils dégagent. Ainsi, que des termes précis, parfois scatologiques, deviennent les écrins d’un univers fantastique qui mènent le personnage à douter lui-même de la réalité de ce qu’il décrit.
Beckett fait partie de ces quelques auteurs qui ne pardonnent pas l’à-peu-près : ça passe ou ça casse. Ici, cela passe merveilleusement pour peu que le spectateur accepte, comme devant un tableau symbolique, de renoncer à toute vision rationnelle du monde pour se laisser porter par l’univers de Beckett, si bien servi !
Le personnage est construit de telle sorte que sa diction, caverneuse et traînant sur les syllabes, crée cet univers qui, à la frontière du réel désabusé et du cauchemar, parvient à nous faire rire. Dans le même temps, il est si complètement habité par le comédien que l’on ne peut pas un instant douter de la réalité des protagonistes et de leur histoire.
On ne prétend pas que le comédien ait rendu facile un auteur si complexe, mais il reste vrai que c’est là du grand théâtre et que c’est une chance de pouvoir aborder cet auteur grâce à un jeu et une mise en scène qui respectent et ses volontés (une sobriété confinant à l’ascétisme) et les codes de compréhension contemporains.
Pierre FRANÇOIS
« Premier amour », de Samuel Beckett. Avec Jean-Quentin Châtelain. Mise en scène : Jean-Michel Meyer. Jeudi, vendredi et samedi à 19 heures, dimanche à 16 heures jusqu’au 27 février au Studio Marie Bell du Théâtre du gymnase, 38, boulevard Bonne-nouvelle, 75010 Paris, tél. 01 42 46 79 79, www.theatredugymnase.paris

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *