« La Ménagerie de verre », de Tennessee Williams, en tournée nationale.

Cauchemar et réalité.
« La Ménagerie de verre » qui tourne actuellement dans toute la France est une pièce dure sous une apparence irréelle. C'est que, comme l'indique le narrateur au nom de l'auteur en début de pièce, on y présente la réalité sous la forme de l'illusion.
Le jeu et le décor contribuent grandement à cette sensation de monde fictif, de voyage dans les pensées des uns et des autres alors même que rien de ce qu'ils ressentent réellement n'est exprimé. Au contraire ! Les comédiens y incarnent – très bien – des attitudes mentales plus que des personnages entiers. Le fils passe-t-il réellement ses soirées au cinéma ? La mère se doute que non, lui tient bon et n'évoque qu'une fois l'ambiance de la boîte de nuit qui se trouve en face de chez eux. La fille a-t-elle seulement envie de rencontrer un garçon ou est-elle enfermée par la pensée de son handicap, auquel elle fait si peu allusion ? Impossible de le savoir tant elle est mutique. La mère est-elle folle, infantile ou perverse ? Chacun peut donner la réponse de son choix en fonction de sa sensibilité.
L'organdi beige et le voile blanc qui séparent scène et salle, le plateau surélevé et garni d'une neige qui lui ôte toute fermeté, l'absence d'ombre sur la scène, les déplacements fantomatiques, la présence de la musique, tout cela magnifie et rend visible le flottement psychologique dans lequel évoluent les protagonistes de ce combat mental.
On se situe donc bien en pleine réalité.
Paradoxalement c'est le personnage le plus dérangé, la mère maquere…, heu manipul…, heu de famille, qui se lit le plus à livre ouvert : ses manœuvres – révélées par un jeu halluciné et une diction hachée – sont cousues de fil blanc, mais si efficaces! Elle n'est pas si folle que cela, ou alors il faudrait enfermer bien du monde : la pièce est partiellement autobiographique et un membre de l'équipe artistique connaît une famille qui vit cette situation.
À l'inverse, le « galant », mâle choisi abstraitement par cette dernière, partage avec elle – mais de façon équilibrée – un véritable ancrage dans le concret de la vie.
Quant au frère, son itinéraire va du monde de sa mère, qui l'enferme de moins en moins par son chantage affectif, à celui de son camarade de travail, l'enjeu étant de libérer préalablement sa sœur de sa prison affective et mentale.
On tient là une pièce qui met à nu tous les ressorts psychologiques des personnages, décrit avec maîtrise les chaînes qui lient les membres d'une famille que la misère a fait dériver. On y voit bien comment la réalité peut être exploitée d'une façon ou d'une autre selon que l'on est équilibré ou non, car la folie n'a jamais été synonyme de manque d'intelligence…
Pierre FRANÇOIS
« La Ménagerie de verre », de Tennessee Williams ; traduction Isabelle Famchon. Mise en scène et scénographie : Daniel Jeanneteau. Avec : Solène Arbel (Laura), Pierric Plathier (Jim), Dominique Reymond (Amanda), Olivier Werner (Tom), Jonathan Genet (sur la vidéo).
À la Scène Watteau le 19 mars 2016 (Nogent-sur-Marne, Tél. : 01 48 72 94 94), à l'Espace des arts, Scène Nationale de Châlon-sur-Saône du 22 au 23 mars 2016 (Tél. : 03 85 42 52 12), au Théâtre national de la colline du 31 mars au 28 avril 2016 (Paris, Tél. : 01 44 62 52 52), à la Maison de la culture de Bourges du 11 au 13 mai 2016 (Tél. : 02 48 67 74 70), au Quartz, Scène Nationale de Brest du 18 au 19 mai 2016 (Tél. : 02 98 33 95 00), à la Comédie de Reims du 24 au 27 mai 2016 (Tél. : 03 26 48 49 00).

Photo : Elizabeth Carecchio.

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