Théâtre : « La Putain respectueuse », de Jean-Paul Sartre, à La Folie théâtre, à Paris.

Vérité ou sécurité ?
« La putain respectueuse », pour qui a pratiqué ou vu ce sport, fait penser à une poule d’escrime. À ceci près qu’une poule bien organisée fait rencontrer chacun des tireurs à tous les autres tandis qu’ici, c’est la même victime qui est confrontée à la violence, la persuasion et l’innocence. L’affrontement de par sa nature inégale n’est usant que pour un des combattants.
En escrime, on commence par tâter l’adversaire, chercher ses réflexes naturels avant de se précipiter dans la faille. C’est ce qui se passe ici d’un point de vue verbal. Le violent a eu toute la nuit pour amadouer sa victime mais, jeune et trop fougueux, il s’y prend mal. Le persuasif a vite fait de circonvenir le raisonnement simple d’une femme qui ne veut pas d’ennuis, ce qui lui permet de mener l’estocade en douceur. L’innocent, qui se sait innocent, mais se sent coupable, est le complément de cette femme qui se sait moralement coupable aux yeux de la société, mais innocente* en conscience.
La dimension de débat intellectuel propre au texte de Sartre est heureusement contrebalancée par une très bonne habitation des personnages par les comédiens. De ce fait, on se laisse entraîner dans les méandres de cet affrontement qui alterne piques soudaines et moment de fatigue ou de réflexion. On se demande jusqu’au bout quel retournement de situation va se produire, ou non ? On éprouve de la pitié pour les uns et du dégoût pour les autres. Pourtant, aucun caractère n’est caricatural : le violent cherche à échapper à l’œil qui risque de le suivre jusque dans la tombe, l’innocent croit à la fatalité de sa condamnation, la femme oscille entre désir de vérité et lâcheté. Il n’y a que le persuasif qui est pervers à un point tel qu’il parvient à utiliser son urbanité pour masquer sa monstruosité.
Seuls hics : il ne reste plus que cinq dates ! Et la pièce, qui prend une actualité supplémentaire après l’affaire Georges Floyd, est inspirée d’un fait réel.
Pierre FRANÇOIS
« La Putain respectueuse », de Jean-Paul Sartre. Mise en scène : Laetitia Lebacq. Avec : Baudouin Jackson, Bertrand Skol, Philippe Godin et Laetitia Lebacq. À La folie théâtre, 6, rue de la Folie Méricourt 75011 Paris, le jeudi à 19 h 15, samedi à 18 heures et dimanche à 16 h 30 jusqu’au 20 juin 2021.
*pour mémoire, on note l’étymologie du mot rapportée par le Trésor de la langue française : Empr. au lat.innocens « qui ne fait pas de mal, inoffensif (de choses); qui ne nuit pas, irréprochable, vertueux; qui n’est pas coupable, innocent ».

Photo : Pierre François.

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