Livre : « Globalia », de Jean-Chrisophe Rufin (Gallimard, 2004)

Roman politique dystopique, par Clara.
« Globalia » est une démocratie parfaite et universelle ayant réussi à protéger l'humanité des guerres, des épidémies, de la vieillesse, de la pauvreté, du racisme, de la haine…  bref de tout ce qui pourrait conduire le monde à sa perte.
Chacun y est libre de penser et de vivre selon ses envies. Grâce au minimum universel, le travail devient une passion comme les autres, mais n'est guère encouragé. Chaque citoyen afin d'échapper à l'ennui et de se trouver bien à l'abri de l'insécurité et du danger peut égoïstement suivre ses penchants et assouvir des désirs, sans limite.
Sans limite ? Ce serait trop simple. Ce monde, qui semble idéal, révèle petit à petit l'envers du décor. Les Globaliens vivent sous une bulle de verre protectrice, transparente, sous air conditionné et canons à beau temps. Cependant, l'histoire de cette civilisation a été gommée par une propagande efficace : elle est en effet le résultat d'une séparation stricte et définitive entre Globalia et ce qu'il faut rejeter à l'extérieur, d'une destruction de toute forme d'organisation politique en dehors de Globalia et le maintien d'un haut degré de cohésion grâce à la peur.
Ainsi personne ne s'inquiète de savoir comment est produit le fameux carburant propre ni de quoi est composé la nourriture de synthèse insipide. Le respect de la vie à l'intérieur se paie cher à l'extérieur : épuisement des ressources, pollution, contamination nucléaire sont le quotidien des « non-zones ». Dans ces contrées, l'humanité survit tant bien que mal entre les réseaux de narco-trafiquants qui dominent  et les bandes rivales qui se font la guerre. 
Pourtant, certains Globaliens sont tentés de transgresser et de chercher un « ailleurs » loin du confort de posséder et de la douceur de la propreté. La frontière entre ces deux mondes se révèle moins imperméable qu'il n'y parait.
Ainsi, épris de liberté, un homme, Baïkal, et une femme, Kate, se lèvent et cherchent à se rebeller contre cette avidité matérielle et le trou béant formé par l'insatisfaction. Le besoin effréné de consommer, relayé sur tous les écrans, ne suffit pas à leur bonheur.
Baïkal, est un doux rêveur et presque un antihéros qui laisse les événements le mener à la tête d'une révolte contre l'injustice du dehors. Kate, le suit par amour, naïvement confiante et lorsqu'ils seront séparés, elle n'aura de cesse de retrouver le grand frisson. Leurs luttes pour la survie dans la non-zone grandira leur amour, au début incongru et superficiel. Quand elle se lance dans l'aventure elle n'a aucune vision claire de ce qui est intolérable et peu à peu sa conscience s'éveille. Elle comprend ce qui l'a poussé à fuir et la nécessité de la révolte.  L'histoire, agréable et facile à lire, laisse un espoir dans cet amour salvateur.
De nombreux autres personnages importants jalonneront le récit : Fraiseur, un habitant des non-zones, prendra Baïkal sous son aile et le protégera dans ce monde hostile, Puig un ancien journaliste épris de recherches historiques, de vérité et d'honneur s'engagera lui aussi dans une lutte contre la misère et l'exploitation. Il y trouvera également un sens à sa vie. Enfin, Altman, un des hommes à l'origine de Globalia, cherchera à conserver ses privilèges.
À travers ce récit, véritable métaphore de l'opposition entre pays du Nord industrialisés et pays du Sud du Tiers-monde, Jean-Christophe Rufin*, en reprenant la tradition du roman dystopique, pose des questions pertinentes quant à l'avenir de l'humanité privée de son histoire, le besoin d'un ennemi clairement identifié pour cimenter la cohésion d'une société et sa dérive totalitaire au nom de la lutte antiterroriste.
Écrit, il y a presque quinze ans, ce texte ambitieux exprime la difficulté très actuelle de concilier liberté et sécurité et offre une fiction futuriste qui dénonce les dangers de la mondialisation. Il estime que l'ambiance sécuritaire contemporaine tend à faire considérer comme une menace toute expression identitaire, qu'elle soit d'ordre historique, religieuse, ethnique ou linguistique…
Dans sa postface, jean-Christophe Rufin revendique le droit du romancier à traiter de questions scientifiques ou philosophiques sans s'en tenir aux faits ou aux idées. Il donne vie et consistance à ses héros en introduisant de l'émotion, de la tragédie, de l'humour ou de la dérision, mais sans prendre parti. Le lecteur réagit selon sa propre sensibilité.
Clara.
*À noter que Jean-Christophe Rufin, médecin engagé dans l'action humanitaire, a été ambassadeur de France au Sénégal.  Il a été élu à l'académie Goncourt en 2008 et a obtenu de nombreux prix littéraires dont le Goncourt pour "Rouge Brésil" en 2001.

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