Théâtre : « Harold et Maude », de Colin Higgins au Théâtre de l’épée de bois (Cartoucherie) à Paris.

Liberté et convention.
Dans un premier temps, on s’étonne de ce que la troupe de l’Arc en ciel, qui est connue pour sa catholicité*, monte une pièce qui décrit un amour entre un jeune homme et une femme qui pourrait être sa grand-mère, laquelle programme son suicide. Puis on se rend compte de la perspective poursuivie : l’amour et l’humour, la liberté et le conformisme, une actualité évidente. Frappante même, dans la mesure où Harold est à l’image de la jeunesse séduite par une culture de mort, une jeunesse qui ne trouve pas sa place dans un monde du prêt à penser. Harold fait tout pour attirer l’attention d’une mère dont le degré de réflexion ne dépasse pas les poncifs qui se profèrent dans son milieu. Est-ce parce qu’aux enterrements les gens deviennent un bref moment eux-mêmes qu’il s’y sent bien ? En tout cas, il n’est pas le seul, puisque c’est là que Maude se désennuie aussi d’une vie qu’elle a pourtant déjà bien allégée. Légèreté et humour sont constants dans la pièce, en faisant appel à différents ressorts mais en jouant en permanence sur l’effet de surprise (« Que faites-vous pour vous distraire ? — Je vais aux enterrements. »). On peut ainsi voir un personnage prendre au sens propre un mot devant être entendu au sens figuré, au sens premier une affirmation devant être comprise en un second, entendre le soupir dû à un masseur se glisser dans une conversation au téléphone, etc. Mais en permanence, cette légèreté fait écho à une gravité (« J’ai une arme secrète, moi aussi : la tendresse. », « Vous priez ? — Je communie avec la vie. »). Laquelle croît discrètement tout au long de la pièce. Qu’Harold a-t-il fait au bon Dieu pour hériter d’une mère pareille ? Qu’est-ce que la mort pour Maude, qui a un numéro tatoué sur le bras ?
Le jeu est bon, tous les personnages sont crédibles et chacun a son moment de vérité, y compris ceux qu’il est convenu de qualifier de secondaires. Si les changements de tableau sont fréquents, cela ne retentit pas sur le rythme qui nous mène de surprise en surprise, de rire en rire aussi en même temps que l’émotion s’approfondit. La mise en scène a pris le parti d’actualiser l’action : la mère étouffante et superficielle d’Harold remplit à sa place (scène hilarante) un questionnaire sur internet en vue de lui trouver des fiancées, Maude a un profil de grand-mère bienveillante qui a cultivé ses capacités d’émerveillement dans un contexte écologiste. Pour les mettre en valeur, le commissaire, le prêtre et les fiancées sont dotés de personnalités intemporelles et conventionnelles. La gestion du décor (minimaliste et néanmoins évocateur) est efficace et discrète. La musique sert le spectacle. L’évolution du sentiment d’Harold est progressive tandis que la délicatesse de Maude est constante. Le metteur en scène a voulu montrer la transfusion de vie qui s’opère entre les deux et il y réussit parfaitement. On tient là une pièce qui ouvre plus d’un débat après avoir pris l’apparence d’un divertissement bien réussi.
Pierre FRANÇOIS
« Harold et Maude », de Colin Higgins. Adaptation de Jean-Paul Carrière. Mise en scène : Jean-Denis Monory. Avec : Iris Aguettant, Léo Pochat, Cécile Maudet, Peggy Martineau, Lorenzo Charoy, Enrique Medrano, Elie Géroudet. Du 20 septembre au 28 octobre au Théâtre de l’épée de bois, La Cartoucherie, route du champ de manœuvre, 75012 Paris, tél. : 01 48 08 18 75. 
* Elle a succédé à l’Office culturel de Cluny, qui continue d’être sujet à controverse. On peut consulter http://www.officeculturelcluny.org/controverses.php pour avoir le son de cloche de l’office et http://www.lenversdudecor.org/-OFFICE-CULTUREL-DE-CLUNY-Olivier-Fenoy-.html pour connaître celui de ses opposants. Comme il faut à la fois être prudent, ne pas colporter de rumeurs, taire les sources et être responsable, on dira simplement qu’on a un témoignage de seconde main qui indique que certains membres en visite dans leur famille sollicitent des dons tout en promettant des reçus fiscaux qui n’arrivent jamais. Et qu’il semble prudent de ne pas laisser des jeunes faire des stages au sein de cette organisation, même si la qualité technique du travail théâtral est indiscutablement au rendez-vous.

Photo : Pierre Francois.

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