Théâtre : « Le dernier chant », agrégation d’œuvres de Tchekhov au Théâtre de l’Épée de Bois, à Paris.

Vocation douloureuse
« L'Illusion comique » est bien plus une pièce sur les relations père – fils qu'un plaidoyer pro domo pour les comédiens. Toutes les pièces de Shakespeare contiennent un passage relatant les avanies que ces derniers subissent alors que le monde dit « réel » n'est qu'une immense scène (dont la partie la plus manifeste est la politique). Mais aucune pièce ne montre mieux que « Le Chant du cygne », de Tchekhov, combien le comédien vit dans un monde parallèle, et au regard des spectateurs et du fait des sentiments qu'il doit incarner. Si elle est jouée si rarement, c'est bien parce qu'elle touche les interprètes au cœur. Emmanuel Ray a choisi de jouer ce bijou rarement montré, ce qui est courageux et doit être salué. Et de lui adjoindre des passages de nouvelles ou de courriers du même auteur (« Le Baron », « Elle et lui », sa correspondances avec Olga Knipper, sa femme), ce qui était risqué. Il gagne son pari.
La diction de chacun des personnages est en soi d'une perfection absolue. À elle seule, elle transmet une variété et surtout une intensité d'émotions considérable. Les déplacements, sobres, épurés, ne sont là que pour mieux faire ressentir les sentiments agitant l'âme des comédiens : la désolation de voir une partenaire gâcher son talent, la conscience de rester en dessous de l'interprétation que mériterait le rôle, la passion pour la beauté du verbe, le sentiment d'une marginalité sociale subie laquelle est le prix à payer pour pouvoir suivre sa vocation…
Les lumières et passages musicaux, à l'instar des autres éléments, participent d'autant plus efficacement à l'atmosphère générale qu'ils sont dosés avec discrétion. 

LeDernierChant600x600x72DpiPhotoPierreFrancoisDSCF4608La mise en scène comporte plusieurs trouvailles, à commencer par le fait d'entamer la pièce par un salut et l'ambiance qui accompagne ce moment particulier d’une représentation. Le monologue qui suit immédiatement est une excellente transition vers l'univers des loges et des passions intimes, dévorantes. Le passage dans lequel une amoureuse demande à un comédien d'abandonner la scène – qui est sans doute le cœur du « Chant du cygne » – est magnifiquement interprété. Mais il serait trop long d'énumérer toutes les qualités de cette mise en scène. Cette pièce est triplement une rareté : parce que « Le Chant du cygne » n'est monté qu'une fois par décennie, parce qu'en l'occurrence l'ajout d'autres œuvres de Tchekhov sur le sujet des comédiens n'en a pas altéré la force, par la qualité de tous les interprètes.
Pierre FRANÇOIS
« Le dernier chant », agrégation d’œuvres de Tchekhov : les nouvelles « Le Baron » et « Elle et lui », la pièce « Le Chant du cygne », la correspondance entre lui et sa femme, Olga Knipper. Avec Emmanuel Ray, Mélanie Pichot, Fabien Moiny. Mise en scène : Mélanie Pichot. Traduction :   Yves Bastide. Adaptation : Emmanuel Ray. Création son : Tony Bruneau. Création lumière : Natacha Boulet-Räber. Régie Générale : Jean Cardoso. Du mardi au samedi à 20 h 30, samedi et dimanche à 16 heures du 18 Avril au 07 Mai au Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champs de Manœuvre, 75012 Paris, métro Château-de-Vincennes puis navette gratuite ou bus n°112  (ou 15 mn à pied), tél. 01 48 08 39 74, www.epeedebois.com. Tarif réduit pour les groupes scolaires : 10 €. Durée du spectacle : 1 h 10. Les comédiens de la compagnie sont prêts à venir dans les classes pour rencontrer les élèves et leur présenter le spectacle soit en amont soit en aval de la représentation. Pour cela, les professeurs doivent prendre directement contact avec la compagnie du Théâtre en Pièces, Abbayes Saint-Brice, 2, rue Georges Brassens, 28000 Chartres, tél. 02 37 33 02 10, theatre-en-pieces@wanadoo.fr.

Photo : Pierre Francois