Théâtre : « Les Téméraires, Zola et Méliès au cœur de l’Affaire Dreyfus », de Julien Delpech et Alexandre Foulon à la Comédie Bastille, à Paris.

Vrai et faux.
« Les Téméraires » unit deux défenseurs de Dreyfus dans une même pièce. Zola et Méliès se sont-ils rencontrés à Londres ? Non, ils n’y étaient pas à la même époque. Le spectacle mêle habilement le vrai – par exemple, la présence des enfants adultérins de l’écrivain lors de son transfert au Panthéon – et le faux pour créer une unité autour d’un combat compliqué contre une armée qui préférait étouffer l’affaire plutôt que d’avouer la faute. Très documentée, la pièce révèle l’existence d’un long-métrage pour l’époque – « L’Affaire Dreyfus », en 1899, long de dix minutes, les techniciens eux-mêmes en étaient effrayés ! – quasi inconnu relatant les faits et qui fut confisqué dès sa sortie. Aussi documentée du point de vue de la grande histoire que du quotidien des protagonistes, elle est également une réussite sur le plan dramatique. Le caractère des personnages sert de vecteur pour relater le contexte social de l’époque. Le parallélisme des démarches – utiliser les médias – de Zola et de Méliès crée l’unité de l’ensemble tout en mettant en valeur des différences de destin. Le rythme, rapide, participe pleinement à cette dernière dimension. Du point de vue du jeu, on croit à l’authenticité des situations et dialogues sauf durant une seule minute (lorsque madame Zola apprend qu’elle a des cornes). Le décor, qui a entre autres charges de montrer ce qu’était un décor de cinéma, s’acquitte bien de sa tâche. Au passage, et cela renforce la vérité des propos, on mesure ce qu’est la douleur de l’écrivain qui, donnant vie à des personnages qu’il désapprouve, se voit reprocher par le lecteur les propos qu’il met dans leur bouche. Ou on apprend comment les comédiens de cinéma pouvaient être des techniciens ou simples passants auxquels on criait les attitudes à prendre pendant que la caméra tournait, s’agissant de cinéma muet. Ce sont deux mondes qui vivent sous les yeux du spectateur, parfois clownesques, toujours émouvants. Parler de l’affaire Dreyfus sous cet angle éminemment vivant était sans doute l’un des meilleurs services que l’on puisse lui rendre, pour sortir des poncifs intellectuels.
Pierre FRANÇOIS
« Les Téméraires, Zola et Méliès au cœur de l’Affaire Dreyfus », de Julien Delpech et Alexandre Foulon. Avec : Arnaud Allain, Stéphane Dauch, Armance Galpin, Romain Lagarde, Barbara Lamballais, Sandrine Seubille, Thibault Sommain. Mise en scène : Charlotte Matzneff. Assistante à la mise en scène : Manoulia Jeanne. Musique : Mehdi Bourayou. Scénographie : Antoine Milian. Lumières : Moïse Hill. Costumes : Corinne Rossi.
Mercredi et vendredi à 19 h, jeudi et samedi à 21 h, dimanche à 17 h jusqu’au 31 mars 2024 à la Comédie Bastille, 5, rue Nicolas-Appert, 75011 Paris, https://comedie-bastille-billetterie.tickandlive.com/evenement/les-temeraires, tél. : 01 48 07 52 07. Métro Richard Lenoir, Chemin vert. Durée 1 h 30.

Photo : Grégoire Matzneff.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *