Théâtre : « La France, Empire », de Nicolas Lambert au Théâtre de Belleville, à Paris, puis dans le festival off d’Avignon.

Les pages arrachées de l’Histoire.
Ceux qui ont eu la chance de voir « Elf, la pompe Afrique », « Avenir radieux » ou « Le Maniement des larmes » savent déjà à quoi s’attendre. Saut qu’ici, avec « La France, empire », Nicolas Lambert abandonne le récit objectif hyper-documenté pour partir d’un point de vue subjectif : sa fille qui a comme sujet de brevet : « Montrez en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union européenne ».
S’il parle désormais à la première personne, son travail est-il moins précis, factuel et fouillé pour autant ? Non, les faits prouvés sont bien évoqués, mais plus encore, leur absence dans les livres d’histoire. Ce sont ces blancs qu’il énonce, ceux qui sont au mieux appelés « évènements ». Et si ce mot renvoie d’évidence à la guerre d’Algérie, il n’en est pas exclusif.
C’est que les Républiques qui ont hérité d’un empire de plus en plus peau de chagrin ont manifestement eu du mal à digérer son démantèlement. Alors, on ne parle pas des soldats noirs de la deuxième division blindée qui libérèrent la France, mais furent privés de rentrer dans Paris. Ni de ceux qui furent massacrés pour avoir demandé le paiement de leur solde. Ni des villages brûlés au Cameroun. Ni de Madagascar… Cet inventaire est tellement exhaustif qu’il dure deux heures, que pourtant on ne voit pas passer. On découvre alors avec stupéfaction ces noms qui ont toujours leurs statues, places et rues dans nos villes – quand ils ne figurent pas au fronton d’une école – tandis qu’ils furent loin d’être visionnaires. Mais aussi ceux qui, au contraire, surent assez tôt prendre la mesure de l’Histoire qui s’écrivait sous leurs yeux. Au passage, Nicolas Lambert imite plusieurs de nos anciens présidents de la République, avec manifestement un goût particulier pour de Gaulle à qui il fait tenir parfois des propos bien peu historiques.
Bref, si l’angle a un peu changé, la rigueur du travail est toujours la même, désormais assortie d’une dose de légèreté qui rend régulièrement le propos savoureux.
Pierre FRANÇOIS
« La France, Empire » : texte, documentation, reportage, mise en scène et interprétation de Nicolas Lambert. Collaboration artistique : Sylvie Gravagna. Lumières : Erwan Temple. Du mercredi au samedi à 21 h 15, dimanche à 17 heures jusqu’au 27 juin au Théâtre de Belleville, 94, rue du faubourg du Temple, 75011 Paris, métro Belleville ou Goncourt, tél. 01 48 06 72 34, https://www.theatredebelleville.com/fr/la-france-empire. Et ensuite, du 2 au 21 juillet dans le festival off d’Avignon.

Photo : Pauline Le Goff.

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