Encyclopédie enthousiaste.
« Incroyables chrétiens, 1001 personnes qui ont changé le monde », de Dominique Boulch, est un livre comme on en écrit peu. Il faut imaginer un annuaire qui se lirait avec plaisir ou un dictionnaire amoureux classé non selon l’alphabet, mais par thèmes. Des thèmes qui vont reprendre l’Histoire de l’Église – on devrait d’ailleurs plutôt écrire « des Églises » dans la mesure où toutes les confessions chrétiennes sont représentées – pour montrer comment l’Évangile a été une source souvent discrète, mais permanente, de l’action de ceux qui ont rendu le monde toujours plus tendu vers le Décalogue et le Sermon sur la montagne.
Comme ces 370 pages de texte ne sont divisées qu’en trois chapitres, ces derniers – Les Chrétiens dans l’histoire récente, la déclaration universelle des droits de l’homme ; Les Chrétiens au service de l’humain et de la création ; Les Initiatives des chrétiens – sont à leur tour subdivisés par rubriques : l’esclavage, les guerres mondiales (première, face au nazisme, la résistance), l’Amérique latine et centrale, la torture en Algérie, le rideau de fer, les Églises comme médiatrices, les vertus de l’économie, « J’étais en prison et vous êtes venus jusqu’à moi », au service de la création, le soutien apporté aux populations d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, d’Océanie, en Europe, les Nations Unies, de l’Hôtel-Dieu à l’hôpital, la question sociale, la scolarisation de l’Europe puis du monde entier, le combat contre la traite des êtres humains, au service des sans-abris, en fraternité avec les plus fragiles, « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli », des solutions aux addictions, des ONG au service du bien commun, le handicap, des colonies aux villages vacances, le commerce équitable, la sacralité de notre existence, une Europe bâtie avec le christianisme, la science, la musique, les loisirs, le bénévolat, la foi de personnes lumineuses, les nouvelles initiatives. On le constate à l’énoncé de cette liste : certains sujets se chevauchent. Mais l’on comprend la difficulté de l’entreprise quand l’on repère que trois références par page à des fondateurs ou organismes chrétiens est souvent un minimum.
Pour en terminer avec les questions de forme, l’on observe qu’au début l’auteur est tellement émerveillé par ce qu’il découvre que son ton en devient légèrement apologétique.
Qu’importe ! Ce livre est une véritable mine de renseignements. Partiels, certes : il mentionne « Sublimis Deus » (p. 30) dans sa rubrique sur l’esclavage, mais pas la conclusion de la controverse de Valladolid, pas plus qu’il ne s’étend sur la complexité de la théologie de la libération (p.75), ne signale que les conclusions de Max Weber sont discutées (p. 108) ou que la coopérative Mondragon est un « modèle » (p. 109) fragile. Rendons-lui cette justice de reconnaître que s’il eût fallu qu’il indiquât toutes les nuances de l’Histoire de la pensée – à laquelle on peut rattacher celle des Églises – le livre en eût été infiniment plus conséquent et sans doute indigeste. De même, on ne lui tient pas rigueur d’avoir attribué à Nelson Mandela des propos qu’il n’a jamais prononcé lors de son discours d’investiture(1). Ou du fait que que la fameuse liqueur Bénédictine (p. 322) n’a pas été inventée par des moines, mais par un industriel qui avait le sens de la publicité. Enfin, s’il n’oublie jamais de mentionner comment l’encyclique Rerum novarum (1891) et le Sillon ont été à l’origine d’avancées sociales importantes, il ne mentionne pas la condamnation de ce mouvement par l’Église en 1910.
Sans doute faut-il y voir une conséquence de l’enthousiasme de l’auteur vis-à-vis de son sujet. Enthousiasme néanmoins lucide : il relève régulièrement la façon dont bien des précurseurs, comme l’abbé Lemire (p. 210-211) ou les fondateurs du scoutisme (p. 226), ayant agi au nom de leur foi étaient critiqués par la hiérarchie catholique ou les milieux bien-pensants et distingue – ce qui n’est pas si fréquent en ces temps de repli identitaire – entre la foi et l’anticléricalisme dont fit preuve, par exemple, Jean-Baptiste Godin, qui était adepte de Charles Fourier et créa la fête du travail en 1867, tout en disant que l’idée des phalanstères « est enfin le moyen de faire passer dans la pratique les admirables préceptes de charité et d’amour enseignés par le Christ ».
Il saute aux yeux que les enrichissements offerts par ce livre compensent de loin les nécessaires imprécisions qu’il contient.
Qui savait, en effet, que depuis 1982 tous les Secrétaires généraux des Nations Unies ont été des « chrétiens sincères » (p. 167), ce qui en dit long sur la capacité du christianisme à promouvoir la paix ? Que l’on ne compte pas le nombre de pays où les chrétiens comptent moins de 20 % de la population, mais sont auteurs de 80 % de l’action sociale ? Que le Planning familial a d’abord été l’œuvre d’une protestante – Évelyne Sullerot – et d’une catholique – Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé – avant d’évoluer de telle sorte qu’elles s’en inquiètent ? Que c’est Émile Romanet, industriel chrétien qui a inventé l’ancêtre des allocations familiales, que c’est la CFTC qui l’a développé et que la CGT s’est violemment opposé à son projet de généralisation en 1929 ? Que dès 1925 l’Union nationale pour le vote des femmes, d’inspiration chrétienne, le réclamait tandis que le Sénat le refusait de crainte que celui-ci soit trop influencé par les prêtres ? Que les Vaillants fondés en 1944 par le PCF étaient un copier-coller des Cœurs vaillants-Âmes vaillantes fondés en 1936 et qui deviendront l’Action catholique de l’enfance (p. 228) ? Que l’on observe le même décalage historique pour ce qui concerne les cantines populaires (p. 237) ? Que l’origine des Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) remonte au « Moyen Âge, dans des institutions hospitalières gérées par l’Église » (p. 241) ? Que SOS Méditerranée a été devancé dès 2013 par Migrant Offshore Aid Station, un couple chrétien qui a fait fortune dans les assurances et qui finance le « Phoenix », un bateau-ambulance qui croise à la rencontre des embarcations de migrants (p. 250) ? Que le taux de réussite de l’association chrétienne de lutte contre les addictions Saint-Jean Espérance atteint les 80 % (p. 253) ? Que la journée mondiale du migrant et du réfugié a été instituée en 1914 par le pape Benoît XV (p. 250) et que l’ONU a suivi en 2000 (migrants) et 2001 (réfugiés) ? Que le plus important employeur de Lozère est une association d’aide aux personnes handicapées fondée par un prêtre (p. 264) ? Que les Special Olympics fondés par Eunice Kennedy Shriver – femme de foi et sœur du président – dès 1968, ont précédé les jeux paralympiques (p. 266) ? À partir de là, au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’époque contemporaine et du contexte français, cette succession d’initiatives devient cascade, puis cataracte, puis avalanche : les auberges de jeunesse, les VVF, les MJC, les MPT, les « bureaux de placement » (ancêtre de Pôle emploi), l’ADMR, les jardins ouvriers, Habitat et humanisme, les congés payés (repoussés par le Sénat de gauche en 1931), la FNSEA, l’Almanach du marin breton, la SNSM, des initiatives pour le commerce solidaire (Oxfam, Max Havelaar, Malongo, Alter Eco), le microcrédit inventé par des protestants avec Oikocredit dès 1975, la proposition de loi d’abolition de la peine de mort en 1947, la notion d’ingérence humanitaire – inventée par les « volontaires de Dieu » créant un pont aérien avec la Caritas catholique, les protestants de la Nordchurchaid et vingt-quatre autres agences confessionnelles – qui date de la crise du Biafra (p. 304), les marches blanches, les ciné-clubs, autant d’initiatives portées par des chrétiens avant d’être généralisées. En ce sens, l’on peut dire que les chrétiens jouent leur rôle de levain dans la pâte (et quelquefois la pâte de leur propre confession), même si ce sont d’autres ensuite qui en récoltent les fruits, ayant plus que les Églises le sens de la communication et de la publicité.
Ce livre ne comporte pas de conclusion, mais un « envoi » qui commence par une mise au point rappelant les multiples manquements à leur mission des Églises et spécialement de la catholique avant de répéter autant de fois qu’il le faut – et il en faut dans la mesure où l’énumération prend plusieurs pages – la question « Quelle communauté humaine a été à l’initiative d’actes qui… ».
Ce livre enthousiaste a le grand mérite de faire un peu de publicité – simplement en rappelant la vérité – à ceux qui ne s’en soucient pas, tout occupés qu’ils sont du souci des autres. Avec un index des noms propres qui occupe cinq pages et celui des noms d’organisations qui en compte trois, cet ouvrage qui se situe entre l’encyclopédie et le memento est précieux tant pour ceux qui sont soucieux de leur culture générale que pour ceux qui auraient besoin de se documenter, voire de contacter l’une ou l’autre de ces organisations. En résumé, il est à acheter impérativement et à ne surtout jamais prêter…
Pierre FRANÇOIS
« Incroyables chrétiens, 1001 personnes qui ont changé le monde », de Dominique Boulch, 411 pages, ISBN 978-2-7067-1942-4, 22 €, aux éditions Salvator, 103, rue Notre-Dame des champs, 75006 Paris, https://editions-salvator.com/saints-et-temoins/2675-incroyables-chretiens.html, www.editions-salvator.com, contact@editions-salvator.com, dom.boulch@free.fr.
(1)Le passage « Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire de Dieu qui est en nous. Elle ne se trouve pas seulement chez quelques élus… » est un extrait du livre Un Retour à l’Amour : Réflexions sur les principes énoncés dans Un Cours sur les miracles écrit par Marianne Williamson, laquelle précise sans rancune (in https://fr.wikipedia.org/wiki/Marianne_Williamson) : « Aussi honorée que je puisse être si le Président Mandela avait cité mes mots, en réalité il ne l’a pas fait. Je n’ai aucune idée d’où a pu surgir cette idée, mais je suis heureuse que ce paragraphe en soit venu à signifier autant pour autant de personnes ».
Le discours d’investiture dans son intégralité est sur https://www.franceinter.fr/monde/le-discours-d-investiture-de-mai-1994.
Si on fait une recherche des mots « Dieu », « gloire », « élus », « lumière », on ne retombe pas sur le passage cité page 39, mais on note que dans le discours original le mot « lumière » est écrit avec une majuscule. Nelson Mandela n’aurait sans doute pas désavoué le passage qui lui est attribué, mais ne l’a pas prononcé pour autant (cf. par ex. https://www.slate.fr/monde/80833/nelson-mandela-fausse-citation-peur-profonde-limites-twitter).
Le passage entier de Marianne Williamson dont la rumeur dit que Mandela l’a repris dans son discours (par exemple sur le site https://www.elans.fr/textes-de-sagesse/202-notre-propre-lumiere) est :
« Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur. Notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toute limite. C’est notre propre lumière, et non notre obscurité, qui nous effraie le plus. Nous nous posons la question : « qui suis-je, moi, pour être brillant, radieux, talentueux et merveilleux ? ». En fait qui êtes-vous pour ne pas l’être ? Vous êtes un enfant de Dieu. Vous restreindre, vivre petit ne rend pas service au monde. L’illumination n’est pas de vous rétrécir pour éviter d’insécuriser les autres. Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire de Dieu qui est en nous. Elle ne se trouve pas seulement chez quelques élus : elle est en chacun de nous et, au fur et à mesure que nous laissons briller notre propre lumière, nous donnons inconsciemment aux autres la permission de faire de même. »