Théâtre : « Les Parfaits », entretien avec l’auteur, Jean-Luc Jeener.

Raisons d’une pièce.
On a déjà parlé ici de la pièce « Les Parfaits », donnée au Théâtre du Nord-Ouest, injustement méconnu. Plus friche que théâtre, en effet, le pire y côtoie le meilleur, mais il arrive que ce dernier confine au sublime. C’est le cas des « Parfaits » et, même si la pièce est jouée rarement et en alternance, elle vaut largement la peine de prévoir cette sortie. On a même avantage à la voir plusieurs fois, la comédienne puisant à chaque fois dans ses ressorts intimes pour proposer des déplacements et une mise en scène improvisés autour d’un texte su sur le bout des doigts. Avec pour corollaire que chaque représentation met en valeur des sentiments restés auparavant dans l’ombre.
Mais pourquoi Jean-Luc Jeener, connu pour son catholicisme plus que parfaitement orthodoxe, a-t-il écrit une pièce qui semble glorifier une hérétique cathare aux dépens des tenants de la foi catholique ?
Pour lui, il s’agit de montrer que ce n’est pas parce que la victime est victime qu’elle a raison. Le statut de victime, en suscitant l’empathie, masque parfois un aspect qu’elle a précisément intérêt à faire oublier. De ce point de vue, et pour prendre un exemple profane, le fait pour le Japon de recevoir deux bombes atomiques a provoqué un effet de loupe qui a permis de faire oublier les atrocités commises par son armée. En prenant le cas des Cathares, Jean-Luc Jeener utilise un cas d’école : ces derniers refusaient les relations sexuelles alors que l’Église les avait chapeautées par l’institution du mariage, leur doctrine était proche du manichéisme qui a été combattue dès les premiers temps de l’Église, ils ne reconnaissaient la validité d’aucun sacrement catholique et n’avaient institué qu’un équivalent du baptême et du viatique, le consolament.
À travers sa pièce, Jean-Luc Jeener veut montrer qu’il suffit « de pas grand-chose pour être d’accord avec la victime » alors que l’hérésie cathare est « dramatique » au point que, si elle avait prospéré, « la création aurait été un accident » dans la mesure où ils étaient spiritualistes au point de refuser d’engendrer. En effet, la réponse qu’ils donnaient au problème du mal était que notre monde terrestre avait été créé par un Dieu mauvais. Or, observe-t-il, aujourd’hui ressurgit la doctrine qui fait de la victime une personne ayant obligatoirement raison.
On reconnaît bien là son esprit polémique en même temps que la lucidité de l’analyse. En effet, il n’est que de voir le glissement qu’a opéré la justice pénale de l’évaluation prioritaire de l’acte à celle de la personne et comment l’expression de « circonstances atténuantes » a disparu des comptes rendus d’audience pour se convaincre de la pertinence du propos initial.
Pierre FRANÇOIS