Théâtre : « Choisir de vivre », de Mathilde Daudet au Studio Hébertot, à Paris

Même si.
« Choisir de vivre » est un texte magnifique. Paru sous forme de roman, c’est en fait le témoignage d’un grand reporter qui vivait la guerre au sein de son existence même puisque c’était une voix de femme qui parlait à la conscience de son corps d’homme.
C’est maintenant une pièce de théâtre. Bien embarrassante à évaluer. On sait que ce qui est montré lors d’une première évolue toujours, et il est souhaitable que ce spectacle suive cette règle. Pourquoi ? Même s’il est complètement faux de prétendre que la comédienne surjoue, elle est sans discontinuer dans l’émotion de la passion souffrante, celle qui torture et qui, à défaut d’engendrer le cri physique, provoque au moins la révolte, notamment contre la religion ici réduite  à sa dimension de morale peureuse, conservatrice et culpabilisante(1). On est saisi par le mystère de cette conscience particulière. Par l’incompréhension des deux parents. Par le dialogue conflictuel et amoureux entre lui et elle au sein de la même apparence, qui est très bien rendu. Par le désir, parfois, de mort auquel il peut conduire. Et, au quotidien, par cette façon de se vivre : « je ne me regarde pas, je m’observe » fruit d’un « duel à mort entre un genre et un sexe ». Enfin, le fait qu’après l’opération irréversible se profile une autre course de saut d’obstacles pour faire modifier son numéro de carte de sécurité sociale est narré avec humour. Il ne lui reste plus qu’à, si l’on peut dire, affronter la peur des autres, ceux auxquels son geste de transgression renvoie une image de castration impossible à penser. Alors pourtant que « la seule normalité des humains, c’est qu’ils sont tous différents »…
Faut-il aller voir ce spectacle ? Oui, sans conteste, car on est enfin face à une écriture de l’intérieur, qui n’a rien à voir avec les récits de l’extérieur qui s’apitoient sur le fait que la plupart des transsexuels ne trouvent de travail que dans le domaine du sexe (ce qui est ici faux, mais sa vie professionnelle a eu lieu avant). Oui, car il est aussi permis d’espérer que le jeu de la comédienne va vite gagner en nuances.
Pierre FRANÇOIS
« Choisir de vivre », de Mathilde Daudet. Avec Nathalie Mann. Adaptation et mise en scène de Franck Berthier. Mardi et mercredi à 19 heures, dimanche à 19 h 30 au Studio Hébertot, 78 bis, boulevard des Batignolles, 75017 Paris, métro Villiers ou Rome, tél. 01  42 93 13 04, www.studiohebertot.com
(1)Plusieurs générations ont subi cette erreur commune alors pourtant que depuis les débuts de l’Église, dans son langage certes, ses théologiens n’ont cessé de porter un regard bienveillant sur notre liberté.
C’est saint Augustin (354 – 430) qui dit « Aime et fais ce que tu veux », mais des foules de fidèles à la morale castratrice l’ont interprété comme signifiant « couche tant que tu veux et dans toutes les configurations », d’autant plus facilement que la phrase est reprise par Rabelais dans « Gargantua ».  Le même auteur précise ailleurs que (De ver. Relig. Cap. 14) « le péché est tellement volontaire, que s’il n’était pas volontaire ce ne serait plus un péché. ».
À rapprocher de saint Thomas d’Aquin (1224 – 1274) qui dans sa somme théologique écrit dans son article sur  le volontaire et l’involontaire, qu’il faudrait lire en entier ainsi que celui sur les circonstances pour en saisir les nuances et la modernité – même si on ne sait plus très bien aujourd’hui ce que signifie le terme de « nature » – que « ce qui est contre la volonté est involontaire ; par conséquent la violence rend les actes involontaires. ».
Enfin, le Concile œcuménique Vatican II (1965, Gaudium et spes, 17) pose que «  La dignité de l’homme exige donc de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure. ». Et il arrive que la violence extérieure soit une éducation ratée ou une religion pervertie, ce dont le concile avait parfaitement conscience dans son exposé sur les causes de l’athéisme…

Photo : Pierre François.

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