Théâtre : « Démons » de Lars Noren au Lucernaire de Paris.

Alcools forts.
« Démons » est une pièce que d'aucuns vont qualifier avec gourmandise de dérangeante mais, ce qui est sûr, c'est que mieux vaut connaître ses propres phantasmes et limites avant d'aller la voir. Elle est très bien jouée : on croit tellement aux personnages qu'on se sent parfois gêné pour eux. Celui de Jenna est le plus attachant dans la mesure où il est tout en nuances et où il évolue. La mise en scène d'un moment de beuverie organisée en vue d'une relation sexuelle croisée entre deux couples est réaliste, même si on nous fait grâce des nudités intégrales lors des scènes de sexe. Ce qui conduit les comédiens à crier, l'ivresse étant rarement discrète. La chose est difficilement supportable dans la toute petite salle du Paradis au Lucernaire.
La trame du texte étant la levée progressive des inhibitions chez chacun des protagonistes et le surgissement de leurs démons, les dialogues sont en fait des conflits qui s'extériorisent. Parfois, un propos entre en résonance avec celui d'un partenaire, parfois pas. La montée des tensions est assez rapide, mais ne cesse pas de tout le spectacle.
On observe que lorsque les couples sont sobres, ce sont les femmes qui dominent les hommes et que le mouvement s'inverse au fur et à mesure de l'imprégnation alcoolique : la supériorité intellectuelle des femmes, qui peut se donner libre cours lorsque les hommes se sentent encore le devoir de les servir, les porte alors à éviter que la brutalité verbale de ces derniers ne devienne physique.
La pièce évoque par moments « L'Échange ». Le couple invitant est aussi machiavélique et déséquilibré que celui constitué par Thomas Pollock Nageoire et Lechy Elbernon. L'innocence de Jenna qui promet fidélité à Franck fait penser au début de la pièce de Claudel. Les comparaisons s'arrêtent là, mais ne sont sans doute pas fortuites : comme chez Claudel, une référence religieuse est présente, ici à la toute fin de la pièce, et d'une façon parfaitement explicite puisque c'est un Franck crucifié par amour qui parle de lui et sa femme à la troisième personne. Elle témoigne d'une compréhension masochiste de l'amour oblatif chrétien, mais on pardonne à l'auteur d'avoir quelques décennies de retard dans la mesure où cette erreur a perduré longtemps dans les Eglises. Il n'empêche : voilà une façon un peu étrange de souligner l'intensité de l'amour qui se donne jusqu'à endurer les souffrances les plus extrêmes.
Pierre FRANÇOIS
« Démons », de Lars Noren. Mise en scène : Cyril Le Grix. Avec Xavier Bazin, Thibaut Corrion, Maud Imbert, Carole Schaal. Du mardi au samedi à 21 heures jusqu'au 4 juillet au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-champs, métro Notre-Dame-des-champs, Vavin, Raspail. Tél. : 01 45 44 57 34, www.lucernaire.fr.

Photo : Thomas Dewynter.

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