« Le Très-Bas », mis en scène par Emmanuel Ray, est de ces pièces dont on aime reparler. Cette fois-ci, non pour répéter tout le bien que l’on pense de la mise en scène et du jeu, mais pour s’intéresser à ce qui l’a portée à travers un entretien avec son metteur en scène et fondateur du Théâtre en pièces de Chartres.
« Emmanuel Ray, pourquoi faites-vous ce que vous faites, pourquoi êtes-vous ce que vous êtes ?
– J’ai toujours aimé le spectacle, car je cherche à comprendre l’âme humaine, ses travers, ses questions, son rapport à l’environnement, à l’espace, au monde spirituel. C’est à partir de là que je me suis intéressé à des œuvres comme « L’Annonce faite à Marie » ou « Caligula » et à une figure comme Don Quichotte, par exemple. Je n’ai toujours pas compris ce qu’est l’humain, mais c’est passionnant. Je me souviens en particulier de « Richard III », dont la tournée a compté pas moins de quarante châteaux et qui m’a permis de réunir deux de mes passions : la marche et le fait de donner des textes avec foi.
François d’Assise, pour en arriver à la pièce présente, a toujours été à la fois proche et loin de moi. Si j’aime bâtir, être seul avec la nature m’interpelle réellement. C’est pourquoi le personnage m’habite depuis quinze ans. La première question est de savoir quel texte monter ? En effet, il m’est difficile d’écrire, mais pas de mettre en scène ou d’adapter. Je devais donc trouver une œuvre préexistante. Il y avait « Le petit pauvre », de Jacques Copeau, le « François d’Assise » de Delteil ou ce « Très-Bas » de Bobin. Très vite, j’ai voulu raconter non l’histoire du personnage, mais rappeler son message, ce qui débouche sur la question : comment aimer l’autre jusqu’à accepter d’être à la porte de chez soi ?
C’est à la suite de la programmation de « Richard III », qui est d’une grande noirceur, que j’ai voulu trouver le pendant, l’inverse en humanité de ce personnage. Comme je savais que des célébrations étaient prévues pour fêter le millénaire de la cathédrale à partir de septembre 2024, j’ai proposé d’y jouer la vision de Bobin dans la crypte à cette occasion. L’accord de l’évêque a été rapide, celui des Bâtiments de France moins, mais on y est arrivé. On a pu y répéter pendant un mois et demi pour la même durée de représentations ensuite. Les choix de mise en scène se sont faits progressivement. Il fallait un François qui puisse être tout un chacun, donc éviter un profil ascétique, ce qui a conduit au choix de Fabien [qui n’a pas un profil de modèle vivant] pour l’incarner. Quand on entendait le texte de Bobin à deux voix, on sentait que quelque chose clochait. À trois voix, on a assisté à la véritable naissance du personnage de François d’une part, et des femmes en tant que multiples figures féminines, sortes de sœurs pour lui, d’autre part. Je savais aussi que je voulais de la musique en direct. Une partie de la mise en scène était déjà dans ma tête, mais tout s’est mis en place peu à peu. C’est ainsi que l’un des chapitres de Bobin a été renvoyé en fin du spectacle, pour le conclure en actualisant le propos. Accoucher d’une pièce, c’est une forme de maternité, que l’on soit un homme ou une femme à mettre en scène. D’une certaine façon, la chorégraphie le dit, qui montre comment François vient à la vraie vie. Et cela se joue presque jusqu’à la dernière répétition, notamment à travers les ajustements sur le plateau. Aujourd’hui, la pièce a vécu à Chartres, il s’agit, à Saint-Leu, d’une reprise à la demande du curé du lieu, et tout est sur les rails. »
Pierre FRANÇOIS