Théâtre : « Insomniaques », d’après « Crimes de guerre en tournée.

Plus que du théâtre.
« Insomniaques » est une pièce historique. Une pièce qui s’intéresse à la petite histoire, celle que l’on cache, mais qui n’est pas moins significative. C’est aussi une enquête, s’agissant de retrouver d’éventuels survivants à un massacre. Le massacre, à Rouen, rue de Bihorel, le 9 juin 1940, alors que les troupes allemandes entrent dans la ville, de 18 hommes, civils comme militaires. Tous noirs. Tirailleurs dits sénégalais, marins de passage ou habitants de la ville.
La documentation, tardive, de cet épisode est due à la rencontre entre un historien amateur et un collectionneur de photos, aussi opiniâtres l’un que l’autre. À l’issue de leurs travaux, Lou Simon, metteusesurdo en scène, prend le relais et « se sert de la scène comme d’un laboratoire où le politique et le sensible se rejoignent pour mieux penser les zones d’ombres. Ce sont donc deux récits qui se dévoilent : celui d’un massacre et celui de la transmission de la mémoire », ainsi que l’indique le dossier de presse. La formule correspond parfaitement à ce que l’on ressent à la vue de ce travail. Un travail qui fait intervenir de façon remarquable un décor construit en strates (« il n’y avait pas de récit archéologique possible à cause des constructions sur le site, donc on a reconstitué l’archéologie par le décor »). Ce dernier devient plan de la ville, jardin, photo, cartons d’archives…
En effet, nous sommes ici face à du théâtre d’objet, de matière, d’où un rythme posé (il faut le temps de manipuler les éléments) qui renforce l’impression de progression dans une reconstitution méthodique, une recherche et l’élaboration d’hypothèses aussi. La réalité, car les recherches entamées par les auteurs du livre* ont été reprises par la troupe de théâtre, est plus surprenante encore. Les faits sont dits dans leur réalité en même temps qu’une recherche est faite quant à la manière dont ces hommes ont pu vivre leur sort. À ce titre, l’intervention d’un surdo brésilien et d’un griot contextualisent bien la situation. Cette pièce est très forte, et artistiquement, et historiquement et sociologiquement. Les personnages sont sans cesse crédibles alors même que les comédiens illustrent un récit en en interprétant plusieurs à la suite.
Pierre FRANÇOIS
« Insomniaques », d’après « Crimes de guerre. Rouen, 9 juin 1940 », de Laurent Martin, Jean-Louis Roussel et Guillaume Lemaître. Mise en scène : Lou Simon. Avec : Arnold Mensah, Clémentine Pasgrimaud, Mariama Diedhiou. Dramaturgie et écriture : Karima El Kharraze, Lou Simon. Scénographie et marionnettes : Cerise Guyon. Musique et sons : Mariama Diedhiou, Thomas Demay. Lumières : Romain Le Gall Brachet. Regard direction d’acteur : Marion Solange Malenfant. Le 4 novembre au Théâtre Paul Éluard, Festival Pivo, Bezons (95), le 15 novembre à L’Echalier de Saint-Agil (41), le 10 février 2026 au Théâtre des bergeries de Noisy-le-Sec (93), le 13 février à la Maison du peuple de Pierrefitte (93), le 10 mars à l’Espace André Malraux (avec le Tas de sable, CNMa) d’Abbeville (80).
*« Crimes de guerre. Rouen, 9 juin 1940 », de Laurent Martin, Jean-Louis Roussel, Guillaume Lemaître. Editions L’Echo des vagues. 136 pages. ISBN 2918616516.

Photo : Virginie Meigné.