Exemplaire !
Cette pièce est exemplaire à tous les points de vue, même si elle n’est pas destinée aux âmes trop sensibles. Inspirée d’un fait divers et écrite par Laurent Mauvignier, un des auteurs des éditions de Minuit, elle explore le mystère du mal.
On ne peut s’empêcher de penser à Hannah Arendt – d’ailleurs citée en exergue du dossier de presse – en assistant à la mise à mort d’un innocent par des vigiles dont la lâcheté est d’une telle banalité qu’elle couvre toute prise de conscience.
Aucune mise en scène spectaculaire ou sensationnelle dans ce soliloque qui ne convoque que des mots d’une justesse absolue. Au contraire, on est au-delà de la sobriété, à Sparte. Chaque mot est sculpté au scalpel, clinique, mais sans être froid. C’est l’épaisseur de la bêtise, de la lâcheté, de l’effet d’entraînement, de la jouissance à faire souffrir, qui sont ici mis en évidence. Mais aussi de la douleur – physique ou morale – et de l’incompréhension, du côté des victimes.
Pour ce faire, l’auteur n’hésite pas à inventorier les différentes perceptions : celle du groupe et, épisodiquement, d’un de ses membres, celle du supplicié, celle de ses parents, sans oublier celle, qui tombe forcément à faux puisque trop à distance, de ceux qui étudient le cas ou en parlent.
On peut chipoter en arguant que telle ou telle répétition est superflue, mais pas tant que cela, car la spirale du verbe exprime parfaitement celle de la souffrance et de l’agonie, agonie du corps de la proie, agonie du sens moral de ses tortionnaires. De plus, ces effets font ressentir le maelström, entretiennent un rythme particulier, un rythme qui tient en haleine tout en désignant d’avance l’issue du scénario. On l’a compris : le jeu est aussi exceptionnel et fort que le texte !
Pierre FRANÇOIS
« Ce que j’appelle oubli », de Laurent Mauvignier. Avec Luc Schiltz. Mise en scène : Sophie Langevin. Sélection du Luxembourg en Avignon 2025. Du 5 au 24 juillet à 11 h 45 au Théâtre le 11.
Photo : Bohumil KOSTOHRY.