Théâtre : « Coupures » de et mis en scène par Paul-Eloi Forget et Samuel Valensi au Théâtre de l’œuvre, à Paris.

Tragique hilarant !
À quel moment la pièce « Coupures » commence-t-elle ? Lorsque l’ouvreuse, après avoir demandé d’éteindre les téléphones portables, embraye sur des considérations d’actualité, un spectateur proteste contre ce happening politique. Mais tout rentre bientôt dans l’ordre… à travers une exploration jubilatoire des désordres contemporains. Et le spectateur mécontent aurait bien fait de réaliser qu’en 494 avant J.-C. Phrynicos fit jouer « Le Sac de Milet » l’année même de cet événement scandaleux pour ses contemporains. Quant aux « Perses » d’Eschyle, la pièce est montée seulement huit ans après la bataille de Salamine. Si nous étions aussi démocrates que les Grecs antiques, il serait possible de monter aujourd’hui une pièce sur la guerre en Ukraine, les violences policières ou la réforme des retraites. Car, autre caractéristique du théâtre que cette pièce observe scrupuleusement et avec une finesse comique incomparable : le théâtre, depuis ses lointaines origines – les bacchanales – a toujours été un lieu de contestation de l’ordre établi.
Mais revenons à « Coupures ». Le propos est impertinent et spirituel, le rythme réserve des surprises régulières, les cocasseries se succèdent, le burlesque des situations – il vaut mieux en rire – cache à peine une détresse humaine. Le tragi-comique est permanent dans cette fable rurale, et n’épargne personne, tel ce « on est écologiste, c’est notre métier de se battre pour des causes perdues ». Côté écolo justement, la troupe en connaît un bout, aussi bien concernant les urbains que les ruraux, l’administration que les groupes de pression. La mise en scène de ce maire qui, opposé à l’implantation d’antennes, les autorise sur sa commune, est parfaitement crédible. Cette satire du fonctionnement de notre millefeuille administratif et politique sent le vécu. Mais – contrairement à Anne-Laure Liégeois avec « Des châteaux qui brûlent » – la troupe n’a pas oublié que le théâtre politique reste d’abord du théâtre et que c’est même là le gage de son efficacité idéologique. Car si l’on passe le temps de la représentation à rire, on y puise aussi des matériaux pour alimenter notre réflexion sur la fameuse société d’après, dont l’accouchement est aussi difficile que celui – qui fait hurler de rire toutes les spectatrices – de la comédienne sur scène.
Pierre FRANÇOIS
« Coupures » de et mis en scène par Paul-Eloi Forget et Samuel Valensi. Avec June Assal, Michel Derville, Paul-Eloi Forget, Valérie Moinet, Samuel Valensi et Lison Favard en alternance avec Emelyne Chirol. Dimanche à 18 h 30, mardi et mercredi à 21 heures jusqu’au 30 Avril (le 18 avril, représentation à 20 heures) au Théâtre de l’œuvre, 55, rue de Clichy, 75009, Paris. Tél. 01 44 53 88 88, https://www.theatredeloeuvre.com/coupures/. Métro Place de Clichy ou Liège.

Photo : Jules Despretz.

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