Théâtre : « L’Araignée », de Rémi Delieutraz au Studio Hébertot, à Paris.

Point culminant historique.
« L‘Araignée » reconstitue un point historique culminant et ceux qui apprécient les mises en perspective historiques passeront outre les défauts de forme de la pièce pour savourer un débat de fond fidèlement reconstitué.
On sait qu’au théâtre le cri est un aveu d’impuissance et que le silence peut porter un message autrement fort(1). C’est ce que semblent avoir oublié les comédiens qui jouent « L’Araignée », même s’il est exact que Luther avait une voix qui portait et un talent certain de prêcheur.
Par ailleurs, lorsque l’on sait que la rencontre entre ce dernier et Charles Quint eut réellement lieu, est-il concevable de penser une seule seconde qu’un empereur de 21 ans tout fraîchement élu en vienne aux mains avec un moine de 17 ans son aîné ?
Si la forme de cette pièce pèche par excès, il faut néanmoins aller la voir à cause du fond, proprement passionnant. Par certains côtés, l’on n’est pas loin de la dispute de Valladolid. Bien sûr, on peut regretter que le côté profondément religieux de cet empereur, qui renonça à sa couronne pour finir sa vie dans un monastère, ne soit pas plus mis en évidence. Mais tous les éléments historiques rapportés sont exacts et les enjeux bien montrés. Par exemple, il est tout à fait juste que Luther, réputé bon débatteur, ait déçu lors de sa première comparution devant la Diète.
Pour nous qui vivons dans une diversité d’opinions et de cultures, la chose est difficilement concevable, mais Charles Quint tenait à conserver l’unité religieuse de son empire et Luther ne voulait que réformer, pas édifier une nouvelle Église. La pièce rappelle que Charles Quint désirait un concile, qui sera celui de Trente et répondra à la réforme protestante (souvent avec crispation), mais une fois que Calvin aura structuré l’initiative de Luther. La sincérité des deux protagonistes est très bien montrée, au-delà de leur méfiance réciproque palpable. Ils se ressemblent en ceci que chacun pense, avec passion, servir une vérité supérieure. Charles Quint veut faire « l’effort de composer avec ce que l’on nous impose » pour assurer une meilleure vie à l’ensemble de son peuple, tandis que Luther veut rendre chaque individu meilleur. La référence au sort de Jean Hus – qui fut brûlé vif en 1415 malgré le sauf-conduit de l’empereur Sigismond – n’est pas qu’une menace envers Luther : Charles Quint pense aussi aux 18 ans de guerre civile qui s’ensuivirent et n’en souhaite pas une réédition. Le rôle d’Érasme, leur maître à penser commun qui voulait réformer l’Église de l’intérieur, est également bien mis en valeur. On a là un portrait passionnant des deux personnages majeurs qui vécurent sans le savoir l’acmé d’un désir de réforme religieuse qui montait depuis des siècles et fut exprimé successivement par Pierre Valdo (au XIIe siècle en France), John Wyclif (au XIVe siècle en Angleterre, il critiquait déjà les indulgences), Jan Hus (qui traduit l’Évangile en tchèque), Jérôme de Prague (au XVe siècle en Bohême, qui professe la prééminence de la Bible et dit les indulgences inefficaces), Érasme et Lefèvre d’Étaples (dont les Commentaires sur les Épîtres de Saint-Paul influencent Luther et qui fonde le cénacle de Meaux). Si les protestants ne reconnaissent pas comme précurseurs de la Réforme les cathares (XIe-XIIIe siècles) ou Savonarole (1452-1498) ou encore des fondateurs d’ordre « réformés » – Cluny, Cîteaux – puis l’émergence des Franciscains et des Dominicains dont le but était encore de lutter contre des dérives, il n’en reste pas moins que tous furent les témoins d’une nécessité en face de laquelle l’Église catholique resta tantôt intellectuellement sclérosée, tantôt paralysée par les oppositions entre les rois et la papauté : le concile de Trente fut retardé plusieurs fois à cause de guerres et du refus de tel ou tel souverain d’y envoyer des délégués, inversement, l’épisode de Canossa est à mettre au débit de l’Eglise. Le mélange des genres temporels et spirituels a toujours eu des résultats négatifs et, vu sous cet angle, il est heureux que Charles Quint et Luther n’aient pu s’entendre.
Pierre FRANÇOIS
« L’Araignée », de Rémi Delieutraz. Avec Jean-Nicolas Gaitte et Maxime Gleizes. Mise en scène : Julien Breda. Lumières : Amélie Mao. Son : Soliman Doré. Dimanche à 17 heures, lundi et mardi à 19 heures jusqu’au 4 avril au Studio Hébertot, 78 bis, boulevard des Batignolles, 75017 Paris. Métro : Rome, Villiers. Tél. 01 42 93 13 04, contact@studiohebertot.com, https://studiohebertot.com/spectacles/laraignee/
(1)Voir, par exemple, https://www.cairn.info/revue-sigila-2012-1-page-135.htm

Photo : Pierre François.

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