Des idées ou des balles.
Avec une scénographie qui dessine le plateau de manière épurée, nous sommes dans une salle de répétition avec un chef d’orchestre comme nous serions dans une cuisine avec un chef étoilé. El Maestro est un seul en scène où l’engagement total de Mouss Zouheyri sur scène nous permet d’entendre l’orchestre. Il interprète remarquablement un musicien hors du commun, apparaissant de nulle part, pieds nus et à première vue déluré. Ce monsieur est en fait à l’écoute de ce qui l’entoure. Il touche dès sa première élocution notre part créative. Ce qui pouvait paraître décalé devient une sensibilité ingénieuse. Une particularité qui lui permettra de demander d’ouvrir « grand les ailes des petits orteils de l’âme » pour faire sonner les mélodies des instruments. Et nous le comprenons. Nous sommes à son écoute, car tout ce qu’il dit sort de sa bouche comme pour faire résonner un acte vital. Ce qui résonne chez tout le monde.
Il s’inspire d’images de la réalité pour composer au fur et à mesure son œuvre. Les mélodies et les rythmes des instruments prennent vie devant nous comme des personnages à part entière. En plus de la population croisée dans la rue et des différentes langues apprises durant son parcours, l’art du maître convoque la philosophie. Hegel, Nietzsche, Descartes, Socrate, Spinoza ou Voltaire, entre autres, donnent des mots précis pour ses pensées musicales.
L’auteur Aziz Chouaki donne sa vision artistique et déclare son amour pour l’Algérie à travers sa poésie. Et ce, du premier au dernier mot de la partition. « Cet arbre de Hsissen, celui du vrai jasmin, quille contre quai, éclatée sa putain de gueule d’amour dehors, comme ça sans voile, simple, vers ces soleils à lui, pieds et clins d’œil nus, dans la sémillante langue de simplement. »
L’enjeu politique est à la base de cette création orchestrale. Il est question de jouer pour représenter l’Algérie à l’étranger. Et le chef d’orchestre sert de témoignage pour appuyer l’importance de son art face aux conflits passés et actuels. Les attentats sont là, et les pensées dictatoriales sont remémorées. Hitler disait « Les Arabes, c’est la dernière race après les crapauds… ». Le chef d’orchestre nous le rappelle, mais pour lui, il semblerait que cette phrase lui reste en tête au quotidien. Elle lui donne cette rage de vivre et de faire vivre son art à travers les balles des phrases et des armes meurtrières.
Maëlle NOUGARET
El Maestro, d’Aziz Chouaki et avec Mouss Zouheyri. Jeudi et vendredi à 21 heures, dimanche à 18 heures jusqu’au 18 décembre au Théâtre La Reine Blanche — Scène des Arts et des Sciences, 2 bis, passage Ruelle, 75018 Paris, tél. : 01 42 05 47 31, Metro La Chapelle, Marx Dormoy ; https://www.reineblanche.com/calendrier/theatre/el-maestro
Photo : Jacques Séchaud.