« Le Complexe de Dieu », hasard ou providence du calendrier, est une pièce qui aborde le sujet des abus dans l’Église au moment où est publié un rapport à ce sujet.
Du point de vue dramatique, elle montre comment une grande économie de moyens peut exprimer l’essentiel… et le reste. Les changements de personnages à vue ou la façon dont, en matière de transition, une même réplique conclut une scène et entame la suivante, montrent la maîtrise que les comédiens ont de leurs rôles respectifs. Ce dernier procédé donne une grande fluidité à la pièce, pourtant construite sur le principe d’une solution de continuité temporelle. Le fait d’évoquer sans nommer préserve une pudeur dans le propos tout en faisant ressentir la perversité du prédateur. Et celui d’enchâsser l’histoire personnelle secrète dans des répétitions du « Tartuffe » – lesquelles vont révéler la profondeur du malaise – est plus qu’une trouvaille : une originalité réellement inspirée. D’un point de vue technique, on est déjà en face d’une réussite.
Du point de vue du milieu catholique pratiquant, le personnage de la mère est caricaturalement vrai. Dans chaque famille engagée dans une paroisse, on trouve une personne ayant ce profil, même si le trait est – à peine – forcé. Le nombre de personnes voulant voir le monde tel qu’il devrait être au motif que le monde chrétien ne peut être que parfait reste impressionnant. Il n’est pas question de jeter la pierre – et la pièce a l’habileté de ne pas le faire – mais de montrer la réalité. Ce trait de caractère associé au charisme dont font preuve bien les abuseurs et à leur instinct pour repérer les personnes déjà faibles explique hélas bien des choses.
De même, le personnage de la victime est complètement en phase avec les faits : si les journaux catholiques mettent en valeur les personnes qui, faisant la part des choses, ont conservé la foi, on ne compte pas le nombre de celles qui ont jeté le bébé avec l’eau du bain. L’explication entre le fils et sa mère est crédible à un point incroyable tant elle dit des choses vraies. Elle montre aussi comment la fine pointe de la pièce est moins le thème de l’abus que celui de la vie de famille.
Les autres personnages ne sont pas moins bien joués. Les propos prêtés aux prêtres sentent le vécu. Quant à celui de l’amie du fils, il est tout à fait bien campé dans son embarras et sa volonté de bien faire tout en respectant son ami. Ses rencontres avec la mère donnent lieu à des scènes d’un réalisme comique. Car l’équipe qui offre ce spectacle sait n’aller ni dans le pathos ni dans le comique troupier, mais se tient en équilibre sur le fil – ténu – qui fait vibrer la vérité.
Pierre FRANÇOIS
« Le Complexe de Dieu », d’Antony Puiraveaud. Mise en scène : Jean-Luc Voyeux. Avec : (en alternance) Théo Dusoulié ou Olivier Troyon, Lucille Bobet ou Léonie Duédal, Anne-Cécile Crapie ou Béatrice Vincent, Jean-Marc Coudert ou Jean-Luc Voyeux. Costumes : Rose Muel. Lumières et scénographie : Florian Guerbe. Assistant à la mise en scène : Sylvain Causse. Lundi et mercredi jusqu’au 8 décembre au Funambule-Montmartre, 53 rue des Saules, Paris 18e, M°Lamarck-Caulaincourt, tél. 01 42 23 88 83, https://www.funambule-montmartre.com/le-complexe-de-dieu