Incarnation réussie.
Mais qu'est-ce que ces étudiants attardés viennent faire sur le plateau de ce théâtre ? Voilà la première réflexion qui vient à l'esprit lorsque les comédiens – car ce sont eux – arrivent sur scène. Autant dire que l'incarnation des personnages est exceptionnelle, y compris lorsque apparaissent – joués par les mêmes comédiens – les rôles les plus tragiques. Aucun pathos ne vient alors entacher les caractères pourtant différents qui ne se rejoignent que sur deux points : l'humanité et la passion.
Cette pièce est l'adaptation du roman « Le quatrième mur » de Sorj Chalandon, qui obtint le prix Goncourt des lycéens en 2013. Elle est parfaitement fidèle, même si Arlette Namiand, qui s'en est chargée, a plus pointé les relations entre Georges et ses différents partenaires que l'histoire de Samuel, son mentor.
Traversés par le drame de la guerre du Liban, tous les protagonistes sont eux-mêmes en même temps que les otages de leurs communautés tandis que Georges, le metteur en scène parisien, est pris malgré lui par la folie de la guerre. En ce sens, il est un héros racinien, et ses partenaires autochtones cornéliens. On vibre avec tous, on respecte chacun de ces ennemis tout en admirant la tolérance à laquelle ils parviennent finalement, au nom de l'art. On ressent combien l'aberration est maîtresse aussi bien des vies quotidiennes que du projet de monter « Antigone » sur la ligne de front avec des amateurs provenant de tous les partis – chrétiens, chiites, palestiniens sunnites, druzes – se tirant dessus.
Le choix de représentations en tri-frontal, les comédiens s'adressant indifféremment aux spectateurs des trois gradins les entourant – ou jouant parfois à partir de là – crée une proximité facilitant la communion avec le public. Il n'est alors pas étonnant que certains passages frappent spécialement les esprits. C'est le cas de la vision, qui veut être prémonitoire, de Samuel. On rit à la vue de la répétition que le metteur en scène organise entre tous ces comédiens d'occasion ou lors de la présentation de l'acteur druze, fils du chauffeur de taxi, ce dernier (époustouflant de vérité) étant le principal interlocuteur de Georges. On croit d'autant plus complètement à cette pièce très dure qu'on sait que ce qui est montré là traverse encore aujourd'hui la vie de millions d'hommes et de femmes qui tentent de sauver leur dignité et leur humanité dans des conditions insupportables.
Pierre FRANÇOIS
« Antigone 82 », d'après « Le Quatrième Mur » de Sorj Chalandon – Éditions Grasset (Prix Goncourt des lycéens 2013). Adaptation : Arlette Namiand. Mise en scène : Jean-Paul Wenzel. Avec : Hassan Abd Alrahman, Fadila Belkebla, Pauline Belle, Pierre Devérines, Nathan Gabily, Pierre Giafferi, Hammou Graïa, Jérémy Oury et Lou Wenzel. Musique : Hassan Abd Alrahman et Nathan Gabily. Vidéo live : Jérémy Oury. Scénographie : Jean-Paul Wenzel. Costumes : Cissou Winling. Création Lumière : Juliette Romens. Création son : Philippe Tivillier. Production : Dorénavant Compagnie. Au Théâtre de l'épée de bois jusqu'au 3 février. https://www.epeedebois.com/un-spectacle/antigone-82/