Le drame du mensonge.
« Change me » est une pièce dont on ressort infiniment triste. Inspirée d’un fait réel : le lynchage et l’assassinat en 1993 aux États-Unis par ses amis d’une jeune fille se vivant comme un garçon après que sa vérité biologique a été révélée. Un parallèle est établi avec la légende d’Iphis et Iante rapportée une première fois par Ovide au tout début de notre ère et reprise par Isaac de Benserade lors du grand siècle.
Le lien créé par la mise en scène autour de ces trois récits de transsexualité porte sur la douleur, principalement celle éprouvée par l’intéressée qui vit mal sa dualité, mais aussi celle de sa mère qui pressent une issue malheureuse et enfin celle de sa petite amie maintenue dans l’ignorance jusqu’à la fin.
Il est rendu avec force par le choix d’un jeu très réaliste. Sur l’espace scénique sont reconstitués quatre lieux : celui de la salle de bain partagée entre la mère et le personnage principal, celui du salon où se déroule sa fête d’anniversaire, celui de la voiture dans laquelle la consommation avorte et enfin la projection des propos tenus dans le commissariat après le drame.
Les protagonistes sont si bien incarnés que, dès le début, on pressent que l’histoire va mal se finir. On se met alors à guetter le moment de la bascule dramatique, ce qui est particulièrement stressant dans la mesure où on sait que la pièce fait référence à une réalité humaine tragique. Heureusement, par moments l’auteur met dans la bouche d’Axel la poésie d’Ovide ou de Benserade, ce qui a pour effet d’alléger la crudité des répliques et la dureté de l’ambiance. Bien sûr ce procédé met également en évidence le fait que la conscience de ne pas habiter la bonne peau n’est pas un phénomène nouveau.
Il serait pourtant insuffisant de ne voir la pièce que sous l’angle du « trouble de l’identité sexuelle ». D’évidence, ce qu’elle soulève est la question plus générale du drame que constitue le fait de vivre – ou de devoir vivre – dans le mensonge. Par antithèse, cette pièce montre combien la phrase de saint Jean « La vérité vous rendra libre »* est exacte. Et on pense immédiatement à toutes les situations qui contraignent les uns et les autres – chômage, handicap, drame familial… – à vivre dans le mensonge et la dissimulation pour pouvoir obtenir un travail ou ne pas être traité en paria au sein de leur groupe social. Cette pièce, si elle a le mérite de poser (brutalement) une bonne question, souffre du défaut de donner le sentiment que cette dernière est insoluble puisqu’elle n’a toujours pas reçu de réponse depuis deux mille ans.
Pierre FRANÇOIS
« Change me », d’après Ovide, Isaac de Benserade et la vie de Brandon Teena. Avec Camille Bernon, Pauline Bolcatto, Pauline Briand, Baptiste Chabauty, Mathieu Metral. Mise en scène : Camille Bernon et Simon Bourgade. Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 16 h 30 jusqu’au 10 juin au Théâtre de la tempête, Cartoucherie, route du champ-de-manœuvre, 75012 Paris, tél. 01 43 28 36 36, www.la-tempete.fr
*Jn 3, 32. La note de la Tob précise qu’il ne s’agit pas de la liberté politique ni de l’autonomie intérieure du sage. En effet le contexte st celui d’une discussion théologique avec les Juifs ; la liberté dont il s’agit est celle qu’on acquiert face au mensonge, ce qui rejoint notre contexte, et à la mort ; qui offre la possibilité de vivre en plénitude dans la communion avec le Fils et le Père. Mais qui peut le plus peut le moins…
Photo : Pierre Francois.