Musique : Denez Prigent sort un cd et entame une tournée.

Intime et incantatoire.
Denez Prigent sort son neuvième cd. Celui qui a été découvert lors des Transmusicales de Rennes en 1992 et n’a pas cessé d’enchaîner les succès depuis reste fidèle à lui-même dans cet album toujours aussi méditatif, intimiste, incantatoire. Entretien, en attendant son concert gratuit à Paris et ceux de l’été en Bretagne*.
-— Comment se fait-il que les personnes qui ne comprennent pas la langue bretonne soient si saisies par votre musique ?
-— Tous les chants, toutes les traditions – et je pense ici par exemple à Cesaria Evora – sont à la fois différentes et enracinées dans la même terre. Elles nous ramènent tous au même noyau commun. Il y a une énergie commune à toutes les cultures. Aller contre cela, c’est aller contre la nature. De ce point de vue, la défense du langage est parente de la défense écologique.

-— Dans cet album, vous intégrez des bruits de la nature, pourquoi ?
-— Il faut se rendre à une évidence : la première musique est celle des bruits naturels. Mais pendant longtemps, j’ai eu peur de les utiliser, que le procédé paraisse anecdotique ou facile. J’ai enfin essayé de le faire de façon à la fois intelligente et instinctive, en les mêlant aux instruments. Ce qui est en fait difficile. Pour moi, faire ainsi c’est un peu comme illustrer un film qui n’existe pas encore.

-— Vous utilisez beaucoup, en plus des marches et kan ha diskan** la gwerz et en avez écrit 135, pourquoi cette prédilection ?
-— C’est d’abord le chant de mon pays, de celui où je suis né, il fait partie de mon adn. La première fois que j’en ai lu une, j’ai eu un sentiment de sacré, d’épiphanie, surtout pour ce qui concerne le texte. On se situe à la cime de la poésie, tout est dit en peu de mots. Après, tout paraît fade à côté. Et je ne suis pas le seul à admirer cette forme octosyllabique – donc au vers très court – puisque Georges Sand elle-même écrivait « Le Tribut de Nominoé est un poème de cent quarante vers plus grand que l’Iliade, plus complet, plus beau, plus parfait qu’aucun chef d’œuvre sorti de l’esprit humain. » sans compter qu’elle recommandait à tous les plumitifs de se découvrir devant les bretonnants !

-— Dans « La Rivière courante », que vous chantez en français, qu’est ce qui vous a poussé à modifier la fin ?
-— À l’origine ce chant français est une complainte, donc à l’issue triste (la fille est brûlée). Mais une gwerz comporte toujours un élément fantastique. Par exemple, dans l’une, un homme revenant d’un pardon (pèlerinage local) ne meurt pas sous les coups de couteau de ses agresseurs parce qu’il a gardé dans ses poches un peu de la cendre du feu de la Saint-Jean, qui porte bonheur. Dès que ses assaillants s’en aperçoivent et les lui vident, il meurt. J’ai donc transformé cette complainte en lui ajoutant un aspect magique, sacré : c’est un ange qui garde l’enfant sauf.

-— Dans « Chemin nu », vous écrivez « Et je chante encore / Et je chante toujours / Pour qui donc ? Je ne sais pas. ». N’y a-t-il pas un peu de vous dans cette poésie ?
-— Oui, beaucoup de personnes ne comprennent plus cette langue que je m’obstine à célébrer. Une langue particulière aux accents divers. Pourtant, si un Vannetais a du mal à comprendre un Bigouden, tous comprennent le Léonard, parce que le Léon était une « terre de prêtres » qui essaimaient ensuite dans toute la Bretagne, donc étaient compris de tous et devaient à leur tour saisir les accents qui n’étaient pas les leurs. Pour les nouveaux bretonnants, on note une particularité : ils commencent par parler avec un accent français puis adoptent dans les cinq à dix ans un accent local.
Pierre FRANÇOIS
« Denez Prigent, Mil hent – Mille chemins », chez Coop Breizh. 
* Concert gratuit place Edgard Quinet le 24 mai à 21 heures dans le cadre de la fête de la Bretagne. Concerts avec l’orchestre symphonique de Bretagne les 11 mai à Rennes, 19 mai à Carhaix, 20 mai à Saint-Malo, 7 août dans le cadre du Festival interceltique de Lorient. Concert le 27 juillet avec Yann Tiersen au Festival de Cornouaille de Quimper. Concert le 31 août au Festival musical d’été d’Annemasse.
** Il s’agit d’un chant à répondre de type breton dans lequel on peut parler de tuilage : les trois à quatre dernières syllabes du narrateur sont reprises en début de réponse par son partenaire.

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