Philo hilarante.
« Liberté ! (avec un point d'exclamation) » est la dernière pièce de Gauthier Fourcade. L'écriture de ce dernier est toujours aussi talentueusement distrayante. Aucun jeu de mot n'est gratuit ou facile, tous donnent à réfléchir autant qu'à rire. Seule la mise en scène a changé, elle est devenue plus clownesque sous la direction de William Mesguich. On est passé du conférencier déjanté (comme dans « Le Secret du temps plié », succès du festival off d'Avignon en 2014) au clown halluciné.
Comment rendre compte de l'association entre humour et poésie dans ce crypto-cours de philosophie si ce n'est en citant quelques extraits ? Sur la liberté conçue comme le libre choix, par exemple : « Les relations à trois, ce n'est pas possible. Non, non. Démonstration : Je vais tracer un triangle A, B, C. En A nous avons un homme, en B un autre homme et une fille en C. Mais fiancée avec qui ? Si A dit « avec moi », alors A ment. A ment car elle est fiancée avec B. Mais si elle est fiancée avec B, c'est qu'elle l'aimait, alors pourquoi a-t-elle pris un amant ? Est-ce que son amour a baissé (ABC) ? Non, et c'est là le problème : elle aime les deux. Donc relation cachée, mensonges… Mais ça devient invivable et les amants finissent par se dire AC. ». Intervient alors D, qui est le psy, mais il ne faut pas tout déflorer…
La trame du spectacle est constituée par un inventaire des notions qui gravitent autour de la liberté. Le déterminisme – tous les chemins menant à Rome – est un grand classique (« Certains philosophes… écrivent un livre et ils disent « ça y est, j'ai prouvé qu'on n'est pas libre, que tout est écrit ! Tout est écrit sauf mon livre : ça, c'est moi qui l'ait écrit. ». Mais bon, s'ils veulent absolument croire qu'on n'est pas libre, libre à eux ! »), la « cause alitée » aussi, la créativité un peu moins, mais qui aurait pensé à la magie, à la solitude ou à la démocratie (« le peuple veut du pain, il faut le mener à la baguette », « les pays où il y a des dictateurs sont des pays à tyrans ») ? Et mêmes aux normes européennes, un passage court, mais d'une saveur inoubliable ! Plus longue et fouillée est la saga des gouvernements qui invoquent l'héritage pour ne pas tenir une parole, la reprendre, avec une rengaine qui permet aux amoureux de l'histoire antique de deviner jusqu'où on va remonter.
On l'aura compris : Gauthier Fourcade est un vrai poète, de la trempe de ceux dont les jeux de mots doivent être lus tant on risque d'en rater si on se contente de l'oralité. C'est aussi un vrai penseur, mais pas triste pour un sou. Il y a du Devos chez lui, avec une mise en scène très visuelle et des éclairages fouillés (à noter l'utilisation à bon escient de la lumière noire) pour compléter la mise en oreilles. Tous ceux qui goûtent notre langue sortiront heureux de cette heure et quart de spectacle.
Pierre FRANÇOIS
« Liberté ! (avec un point d'exclamation) », de Gauthier Fourcade mis en scène par William Mesguich. Du jeudi au samedi à 21 heures, dimanche à 16 heures jusqu'au 5 novembre à la Manufacture des abbesses, 7, rue Véron, 75018, Paris, métro Abbesses, Blanche, Pigalle, Tél. : 01 42 33 42 03, www.manufacturedesabbesses.com.