Théâtre : « Modèle vivant », de et avec Stéphanie Mathieu au Studio Hébertot, à Paris.

Âme à nu.
À chaque fois que, rencontrant des personnes qui demandent quelles sont les bonnes pièces du moment et que votre serviteur répond qu'il y a « Modèle vivant » dans la (courte) liste, il s'entend répondre « Ah, oui, on m'en a déjà parlé, il faut que j'y aille ».
Commençons par le seul défaut de cette pièce avant de souligner ses qualités : le texte se permet parfois quelques facilités. Dire qu'aller se découvrir devant les peintres amateurs d'une banque alors que son compte est à découvert fait partie de ces rares moments que l'on regrette.
Pour le reste, cette pièce est profondément originale et réussie.
Originale car on n'a pas souvenir d'avoir déjà entendu parler au théâtre des états d'âme d'une modèle en train de poser ou de se rendre au travail. Et Stéphanie Mathieu casse tranquillement la barrière mentale qui fait du modèle au mieux une chose, au pire une pauvre femme perdue. Alors qu'être un fantasme, c'est mieux que toutes les crèmes de beauté. Que poser c'est aussi inviter son âme à habiter des muscles qui finissent par s'ankyloser, vivre une double contrainte, ou grâce, c'est comme on veut. Se rendre compte de l'injustice qui frappe les handicapés ou que la personne qui est imprimée sur du papier glacé est soi alors pourtant qu'on ne se reconnaît pas, miracle de la création, de la participation à cet accouchement particulier. Devenir parfaite sous le crayon de jeunes qui pourraient être ses enfants ou immortelle dans la terre glaise pétrie par des retraités. Et on pourrait multiplier les exemples.
Réussie, car ce monologue pourrait vite devenir ennuyeux, d'autant plus que le décor – le podium sur lequel elle pose – est unique et qu'elle ne fait que changer le projecteur ou se dénuder de temps en temps. Or, il n'en est rien. Le propos est si intéressant et l'émotion émise si maîtrisée qu'à aucun moment on est tenté de détailler l'anatomie de celle qui nous explique sa vie. À peine remarque-t-on qu'elle parvient à se montrer avec un naturel total alors que sa peau a commencé à subir « des ans l'irréparable outrage ». Jamais un soupçon de vulgarité, même dans le moment où elle pose dans une attitude de séduction. C'est incroyable ! Et passionnant. Car s'il y a le propos, il y a aussi cette façon de le proposer, de se dire dans une vérité aussi nue qu'elle et qui pourtant, elle non plus, ne tombe jamais dans l'impudeur. Une vérité qui interroge non seulement la place du corps ou de la femme, mais aussi les conventions, le temps qui passe, la mort, la vie, le désir d'exister tel qu'on le sent…
Oui, ce spectacle est à aller voir, sans a priori. Et, de toute façon, si on y va avec, on risque fort d'en ressortir sans.
Pierre FRANÇOIS
« Modèle vivant », de et avec Stéphanie Mathieu. Mise en scène : Xavier Lemaire. Du mardi au jeudi à 21 heures jusqu'au 1er février au Studio Hébertot, 78 bis, boulevard des Batignolles, 75017 Paris, métro Villiers, Rome, tél. 01 42 93 13 04.

Photo : Lot.

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