Cinéma, théâtre : « Le Festin de pierre », d’Eric Bu au Lucernaire à Paris.

Travaux de création.
Faire un film sur une pièce de théâtre – fût-il uniquement documentaire – est toujours une entreprise qui doit éviter le double écueil de la paraphrase comme de la complaisance, surtout involontaire.
Pourquoi Eric Bu a-t-il voulu filmer la gestation de « Festin, ou la véritable histoire de Don Juan »* de Pierre Lericq, qui partit d'Arcueil vers Orly puis Avignon en 2014 ?
Lui qui aime beaucoup dette forme d'art connaissait Pierre Lericq et son théâtre aussi populaire que généreux depuis une vingtaine d'année et, un jour, des comédiens d'icelle tournant dans un de ses films lui apprennent que le prochain projet de ce metteur en scène est une adaptation de « Don Juan ». Il sent qu'il y a quelque chose à faire, lui qui a toujours aimé filmer le travail, quelle que soit la discipline. Et qu'il y aura là des moments très humains, d'autant plus que dans l'équipe se côtoieront une ex et sa compagne d'alors. Il pose la question à Pierre Lericq, qui accepte.
Une fois l'accord obtenu, il faut réfléchir à une façon de tourner qui rende au mieux compte de ce travail d'équipe réunissant douze femmes et un homme. Très vite, deux paramètres s'imposent. D'une part, ce n'est pas, comme le prétend Pierre Lericq au départ, un travail d'équipe mais plutôt une équipe assistant à un processus de création nécessairement solitaire. Cette évidence impose de filmer dans le format le plus large possible, le scope, pour ne jamais masquer l'environnement, d'autant plus que le metteur en scène compose visuellement sa pièce comme La Cène de Léonard de Vinci.
D'autre part, les comédiens qui se savent filmés sont complices dans la mesure où ils restent toujours eux-mêmes, y compris dans les moments difficiles. La façon de leur rendre cette délicatesse est donc de ne jamais filmer de loin et même de s'approcher quand quelque chose d'intime se passe, ainsi le cinéaste se rappelle-t-il à la conscience de ses sujets pour le cas où ils l'auraient un instant oubliés.
Il découvre ensuite son film au montage. C'est à son tour d'accoucher. Il s'aperçoit alors – est-ce un hasard ? – que le moment le plus fondateur n'a pas été la présentation dans l'enfer du off avignonais mais la première à Orly, avec le conflit qui se joua juste avant le début de la représentation.
Ce film dit peu au sujet de la pièce – suffisamment néanmoins pour qu'on comprenne que l'option a été de déifier Don Juan en lieu et place du Dieu des chrétiens – et beaucoup tant sur son créateur que sur l'ambiance d'une troupe au travail. Ce dernier confiait au cinéaste, à l'issue de la première projection, qu'il avait l'impression d'avoir fait deux ans de psychanalyse en le voyant. Logique puisqu'un jour, pendant le tournage, il dit à Eric Bu : « On ne se parle pas, finalement ». Lequel, dans sa position de psy caméra à l’œil, ne répondit pas…
Pierre FRANÇOIS
*Pour qui voudrait se faire une idée du style de Pierre Lericq, il joue en ce moment au Lucernaire « Romance sauvage », qui est une des meilleures pièces de ces derniers mois…

« Le Festin de pierre », d'Eric Bu. France / 2015 / 1 h 24 / Scope / son : 5.1 / couleur. Réalisateur et directeur de la Photographie Eric Bu – Montage: Marguerite Teulet – Son : Stéphane Isidore. Directrice de production : Mathilde Mottier – Producteurs Jean-Baptiste Neyrac, Mathilde Mottier, François Vila – Productions : Neyrac Films et Mise en Lumière.
Au cinéma d'art et d'essai Le Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-champs, métro Vavin, Notre-Dame-des-champs, Montparnasse. A partir du 6 avril à 20 h 30, séances du dimanche 10 et samedi 11 avril en présence de représentants de la troupe filmée : Pierre Lericq et Manon Andersen
Équipe artistique de la pièce « Le Festin ». Acteurs : Pierre Lericq, Anaïs Ancel, Manon Andersen, Catherine Bayle, Soulafe Benmoulay, Clothilde Daniault, Muriel Gaudin, Constance Gay,
Céline Laudet, Lydie Ledoeuff, Marie Reache, Lucie Reinaudo, Chantal Trichet. Et Acàcio Andrade (musicien), Perrine Brudieu (assistante de production), Édith Chistoph (assistante à la mise en scène), Patrice Besombes (création lumière), Sébastien Libolt (musicien), Nicolas Lepont (musicien), Jean-Pierre Spirli (ingénieur du son), Thibault Sauvaigne (assistant Avignon).

Photo : Pierre François

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