Théâtre, musique,vidéo : « Jimmy Savile, un silence assourdissant » au Théâtre Montfort à Paris

Acte militant, par David Westphal.
C'est un spectacle uppercut auquel nous invite le théâtre Monfort. Un spectacle total où le théâtre se mêle à la musique « live » et à l'art vidéo pour nous entraîner dans une ahurissante histoire, nous rouer de coups, et nous laisser au bord de la nausée ; tant les faits que les partis pris artistiques et scéniques tendent à rendre un effet poisseux et sale qui sert diablement bien le propos.
L'histoire d'abord. Elle est bien réelle et tristement humaine. Jimmy Savile fut disc-jockey et animateur phare de la BBC. A la tête de deux émissions très populaires, « Jim'll fix it » et « Top of the Pops », il devient vite un personnage haut en couleurs et décalé, dont l'Angleterre a le secret. Devenu incontournable, icône de la télévision, il se place bientôt en apôtre de la collecte de fonds et multiplie les œuvres caritatives et philantropiques. Distingué par Margareth Thatcher, anobli par la reine, reçu et décoré par le pape Jean-Paul II, il est couvert d'honneurs. Son aura le rend tout puissant et ne protège que mieux une part d'ombre qui ne trouvera la lumière qu'un an après sa mort, survenue en 2011, à l'âge de 84 ans, après 50 années de manipulations sordides.
Pierre-Marie Baudoin auteur et metteur en scène de ce spectacle réussit un coup de maître. Projection d'images d'archives, reconstitution de plateau télé, témoignages «en direct», face caméra, des « comédiens-victimes », son travail se construit tel un puzzle où l'assemblage des pièces dessine peu à peu le contexte global ainsi que l'enquête née des témoignages post-mortem. S'inspirant d'écrits philosophiques (Hannah Arendt) et psychanalytiques (Sandor Ferenczi), documents d'archives et interviews, l'auteur va juqu'à interroger Jimmy Saville lui-même, comme dans une psychanalyse posthume, pour mieux le confondre et le démasquer.
Dans cet exercice d'équilibriste Pierre-Marie Baudoin, engagé et militant, interroge la responsabilité collective et les limites du pouvoir. Sa mise en scène est remarquable tant elle associe et fait se compléter les formes choisies d'expression artistique. C'est un équilibre savamment orchestré et toujours au service du propos. Le malaise s'installe chez le spectateur, il grandit à mesure que la pièce se déroule et l'on en sort comme écoeuré, sali. La réussite de ce spectacle est indubitablement une affaire de groupe et chacun y a sa part. Depuis les comédiens -certaines scènes sont brutales et crues- jusqu'à l'équipe technique -remarquable réalisation vidéo- en passant par les musiciens d'Okay Monday qui assurent à la perfection les nombreuses reprises musicales et illustrations sonores. Mention spéciale à un terrible « Sound of silence » de Simon et Garfunkel.
Ce spectacle total, hors des rails, peut bien sûr ne pas plaire mais certainement pas laisser insensible. Il est un pavé dans la mare, une invitation au débat et interroge notre société sur certaines de ses dérives.
Bonne soirée.
David Westphal.
« Jimmy Savile, un silence assourdissant » Texte et mise en scène de Pierre-Marie Baudoin. Avec Jean-Claude Bonnifait, Franck Taponard, Sarah-Jane Sauvegrain, Anna Carlier. Musique « live » : Okay Monday, avec Jeremy Cuvelier, Jean Fleury, Aurélien Gainetdinoff, Antoine Pouilly Lumière : Grégoire Delafond. Vidéo : Stéphane Hirlemann. Son : Eric Dupré. Marionnette : Matthieu Fayette. Décor : Jean-Louis Mouchel-Cadet et Lycée des métiers du spectacle Jules Vernes, Sartrouville. Théâtre Monfort, jusqu'au 13 février, 106, rue Brancion, 75015 Paris. Location : 01 56 08 33 88, www.lemonfort.fr. Puis à L’Avant Seine / Théâtre de Colombes les 16 et 17 février.

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