Musique : David Sire entre scènes originales et nouvel album (3)

Pouvez-vous parler de votre album* ?
Dans l'album, il y a une des chansons qui m'a donné le plus de bonheur depuis que j'en écris, c'est la dernière : « Devenir ». Et j'y dis combien la première chose est de faire battre le pouls, d'avoir un rythme. Mais il ne faut pas s'y tromper, ce n'est par parce que les mélodies sont simples qu'elles ne sont pas belles. Elles ont juste l'élégance de la sobriété.
Leur facture est classique, même si certaines s'autorisent à prendre la tangente. Par exemple, pour « Ça me gonfle » enregistré en studio avec un guitariste qui joue à l'instinct et moi qui utilise une pompe à vélo pour gonfler un ballon de baudruche, on ne sait pas où on va au moment où on ouvre les micros ! On a certes calé des choses et un texte, mais c'est tout.
Sur l'album, tout a été enregistré en direct de cette façon, même les voix, et on a fait entre une et cinq prises par chanson. Puis, à la marge, il y a eu quelques habillages, ce que nous appelons des re-re ; et quelques riffs, ces petites lignes mélodiques instrumentales qui servent de repère musicaux, comme un trait dans un opéra.
Mais ces petits habillages restent finalement assez marginaux dans l’album. Ce qui a compté pour moi dans ce projet discographique, c’est avant tout de m’aventurer, avec ces chansons, sur un territoire fait de nudité. La chanson « Je est un nous » – qui ouvre l’album et lui a donné son titre – le dit très explicitement : « j’ai brûlé mon tutu… le miracle est venu ». La joie et la liberté me semblent bien sourdre d’un certaine forme de dépouillement. En ce sens, la chanson « Tout est là » est sans doute celle qui me représente le plus, à cause de sa simplicité. Elle l'est tellement que je l'utilise pour clore mon spectacle jeune public « Niet Popov ! », qui tourne beaucoup. C'est un spectacle sur la liberté qui montre que tout est dans les petites choses que nous ne voyons pas.

Quelle est votre préoccupation vis-à-vis du jeune public ?
Il y a plusieurs éléments. Il est important d'amener une pensée, un questionnement philosophique, même si c'est de façon ludique, car j'aime beaucoup m'amuser, j'aime la joie, rire et faire rire. Mais la chanson doit être porteuse de sens, elle ne peut pas consister en un divertissement pur. Faire rire est un moyen d'aider autrui à se rappeler, y compris de choses auxquelles on n'avait pas envie de penser. Il y a donc un questionnement éducatif dans mon rapport au jeune public. Mais, surtout, c'est pour moi une école exigeante pour donner toujours le maximum d'intensité, donc être sans cesse conscient de ce qu'on fait à la fois dans la voix, la musique, le corps, le propos amené… Le jeune public m'a énormément fait grandir en tant qu'interprète.

Quelle est votre contre-culture dont parle le dossier de presse ?
On rejoint là la différence entre la parole qu'on veut imposer et celle qu'on laisse venir, plaire et partager. Mais je ne suis pas le seul à travailler ainsi. On est nombreux à fréquenter les sentiers plutôt que l'autoroute. On peut citer Élie Guillou qui a inventé les « Lavomatic-tour », des rencontres poétiques dans les lavomatiques, le temps de la lessive. Ou Nilda Fernandez, un plus ancien qui a eu un très grand succès avec le tube « Nos fiançailles » et qui a refusé le système, préférant partir en roulotte ou chanter pour les Inuits et distribuer ses chansons directement plutôt que de reverser 80 % à des intermédiaires. Un autre, à Barcelone, est Nelson Poblete, un Chilien avec qui j'ai enregistré la chanson « Philistins » de Georges Brassens. Je n'ai jamais vu quelqu'un chanter avec la voix si près du cœur, on en a des frissons. Il fait des scènes mais cela ne l'empêche pas de jouer chaque jour à la rue, à Barcelone. J'aime aussi beaucoup le travail de Thomas Fersen, qui m'a influencé au départ avant que je ne trouve mon style.
Eux comme moi, nous marchons en compagnie des amateurs d'authenticité qui préfèrent la randonnée à la station-service autoroutière. On rejoint là la pensée de Pierre Rabhi, on est dans la sobriété, la frugalité. Par exemple, chanter chez les compagnons d'Emmaüs oblige à imaginer un modèle économique différent, qui peut s'apparenter à la décroissance. Concrètement, pour moi, il s'agira de profiter de ma présence sur une scène nationale pour proposer à la communauté du coin ma venue – donc sans frais de transport – et me conformer aux usages du lieu. Lesquels sont évidemment à l'inverse de ces festivals qui mettent la moitié de leur budget dans la tête d'affiche et rognent sur le cachet des artistes moins connus.

Pierre FRANÇOIS
*« Je est un nous », chez L'autre distribution le 27 avril, avec Fred Bouchain à la guitare. Trois des précédents ont obtenu le coup de coeur de l'Académie Charles Cros.

Photo : Marylene Eytier

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