Théâtre : « Misterioso-119 » au théâtre de La Tempête

« Je te préviens, tu vas être choqué, il y a des femmes nue dans cette pièce », me dit l’attachée de presse qui se souvenait que je n’avais pas apprécié d’en voir une se faire triturer le sein dans « Nana », au Lucernaire. Comme quoi, on n’a jamais fini de devoir lire et relire les ouvrages à grand tirage du genre Mars et Vénus ou Pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières. Mais je m’égare…
Que dire de « Misterioso-119 » ? Liquidons tout de suite la question du caractère choquant des nudités répétées. Encore eut-il fallu que ces scènes eussent été un tant soit peu excitantes. Il paraît qu’elles ne le sont pas parce que les femmes en question sont censées être madame tout le monde et des comédiennes amatrices. Sympa pour le commun des mortelles et les amateurs de tous poils ! Sur le second point, un tour du côté des Masques d’or organisés par la Fédération nationale des compagnies de théâtre et d’animation pourrait remettre les pendules à l’heure. Jamais l’auteur de ces lignes n’a vu de spectacle aussi abouti que lorsqu’il a assisté à la finale de cet équivalent des Molières pour les amateurs. Il faut quand même se rappeler que la différence entre l’amateur – le vrai, pas le dilettante – et le professionnel est que le premier – et ce, quelles que soit la discipline artistique – a tout son temps pour peaufiner la livraison au public de son travail tandis que le second est tenu par un calendrier et doit fournir un résultat, fut-il encore vert.
Devait-on alors être choqué par le fait que l’action est censée se passer dans un couvent, par les projections de portraits de religieuses en habit et tenant leur chapelet ou par les allusions aux nonnes accouchant ou avortant (peu importe, on est dans le même registre) ? Mais il s’agit là de procédés si éculés qu’on en est blasé*.
On ne dira pas qu’on s’amuse de l’image que certains peuvent avoir de l’Église et des cathos, mais presque. On a là un sujet sociologiquement intéressant.
D’un côté, on sait déjà que plus les personnes ont cessé de fréquenter les cathos depuis longtemps, plus ils en ont une image devenue fausse à force d’être ancienne (forcément, ces personnes croient que rien n’a bougé depuis qu’elles ont rompu le contact).
D’un autre côté, il y a le fait qu’il n’existe pas d’espace de débat public au sein de l’Église, c’est-à-dire une opinion publique pouvant s’exprimer librement avec l’assurance de pouvoir être reçue sans se heurter à l’argument d’autorité.
L’institutionnalisation d’un tel système était déjà réclamée par le fondateur du journal « le Devoir » de Montréal Henri Bourassa (1868 – 1952) qui fut membre de l’Action catholique, mais on attend encore de voir… Résultat : des espaces de libre parole comme le comité de la jupe se construisent en réaction par rapport à des dérapages de l’autorité plutôt qu’en collaboration avec cette dernière. Car le résultat de cette absence d’opinion publique est que les débats qui devraient avoir lieu au grand jour sont lancés par des déçus de l’Église qui l’ont quittée (et qu’en attendent-ils ?) puis repris par des personnes qui se retrouvent entre l’arbre et l’écorce, dedans mais en butte à l’autorité.
Du coup le choix des sujets est biaisé : on va voir réapparaître sans cesse des serpents de mer comme le mariage des prêtre ou la morale sexuelle, mais jamais des thèmes plus sérieux et dérangeants tant pour pour les possédants que pour ceux qui ne veulent voir en l’Église qu’un ennemi de classe. Citons par exemple la doctrine sociale de l’Église, la morale économique ou le droit de propriété tel qu’il est vu par saint Thomas d’Aquin (qui refuse son démembrement dit abusus, ce qui était prophétique tant par rapport au socialisme qu’à l’écologie).
En ce qui concerne les petits comités mis en place par l’autorité et composés de spécialistes membres du sérail qui planchent sur les questions lancées par ceux qui se soucient plus de dénoncer que de construire, ils sont d’une par inaudibles tant leur jargon est incompréhensible pour le commun des mortels et d’autre part discrédité par le fait que leur compétence théorique n’est jamais confirmée par l’expérience pratique quotidienne.
Quant à la pièce Misterioso-119 – on l’oubliait presque – qu’en dire sinon qu’elle fait l’effet d’une musique de supermarché : on ne s’ennuie pas mais on n’est à aucun moment surpris.
Pierre FRANÇOIS
« Misterioso-119 », de Koffi Kwahulé. Avec Jana Bittnerova, Maïmouna Coulibaly, Gabrielle Jeru, Douce Mirabaud, Natacha Mircovich, Karelle Prugnaud. Mise en scène : Laurence Renn Penel. Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 16 h 30, jusqu’au 8 juin au théâtre de La Tempête, Cartoucherie, route du champs de manœuvre, 75012 Paris, tél. : 01 43 28 36 36, www.la-tempete.fr

*Sans doute est-ce d’ailleurs à cause de l’ancienneté de ces histoires que l’Église n’a pas pris à temps la mesure du drame scandaleux qu’était le problèmes de la pédophilie en son sein.

Photo : Pascal Sautelet

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