Coup d’épée dans l’eau.
« Dieu, la science, les preuves, l’aube d’une révolution » est un livre pour le moins surprenant.
Qu’apporte-t-il de nouveau alors que, des Grecs antiques à Voltaire, tous les auteurs s’accordent pour admettre l’existence d’un « grand horloger » ? Que vient faire le miracle de Fatima dans ce livre qui n’accole l’adjectif « personnel » au nom divin qu’une ou deux fois tandis qu’il démontre l’existence d’un début à l’univers (donc d’un architecte) à chaque page ? Est-ce là le Dieu des chrétiens ? Comment se fait-il que des auteurs scientifiques fassent un contresens sur l’expression « solution de continuité » (page 226) alors que cette formulation s’origine dans le domaine de la chimie(1) Comment le chapitre 21, qui veut servir de transition entre des notions théoriques et la vie pratique peut-il reposer sur l’existence de notions morales universelles alors que, d’une part, l’expérience de Milgram(2) prouve que la morale individuelle n’existe que tant qu’elle n’est pas contrariée par un intérêt ou l’obéissance à une autorité et que, d’autre part, tout le domaine de la morale est sujet à des variations extraordinaires selon les lieux et les époques ? Puisque les auteurs semblent se référer à un système chrétien catholique, ne se souviennent-ils pas des appréciations divergentes de St Basile, St Thomas d’Aquin et St Augustin autour de la question de l’avortement(3) ? Du fait que durant les persécutions de l’Église naissante on a sanctifié des personnes qui ont préféré se suicider plutôt que de renier leur foi, ou se noyer en emmenant ses deux enfants dans la mort plutôt que d’épouser un païen(4) ? Que désormais l’Église catholique condamne la peine de mort après l’avoir justifiée ? Que le père Werenfried van Straaten rapporte l’exemple de nouveaux-nés enterrés vivants, leurs mères étant trop faibles pour les allaiter (il pose la question(5) de la responsabilité morale entre les fossoyeurs et les entreprises maintenant les parents dans la misère, mais cela ne change rien quant à l’inexistence de loi morale universelle) ? Ces diverses règles ont existé parce qu’il existait différents terreaux favorables selon les lieux, les milieux sociaux et les époques. Peu importe ce qui, de l’œuf ou de la poule, de la foule ou de ses maîtres, a précédé quoi et on s’est limité à la morale enseignée par l’Église pour être bref, mais on pourrait multiplier les exemples ad nauseam.
Les auteurs semblent obsédés par les « matérialistes » et leur livre est un plaidoyer – comme il a existé des réfutations d’hérésies aux premiers temps de l’Église – contre ces derniers. Mais qui est encore matérialiste aujourd’hui, mis à part les quelques membres de la Libre pensée ? Depuis les années 80, on assiste à l’éclosion de l’indifférence chez les uns, du relativisme chez les autres et d’une religion à la carte (qui déborde largement le cercle déjà étendu du Nouvel âge) chez les troisièmes.
Comment un livre consacré à « prouver » l’existence d’un dieu créateur peut-il faire pencher les lecteurs vers le Dieu des chrétiens (on suppose que c’est l’intention puisque l’un des auteurs est licencié en théologie par l’Institut catholique de Paris) ? Où est le kérygme ? Où est l’annonce du « dieu inconnu » ? Sans doute les auteurs ont-ils voulu se montrer plus sages que Paul se faisant dire à Athènes qu’on l’entendrait sur ce sujet une autre fois. En quoi une démonstration qui évacue la mort-résurrection « scandale pour les juifs, folie pour les païens » est-elle différente de la foi musulmane qui dit que Jésus n’est pas mort, mais qu’il a été remplacé par un sosie sur la croix ?
Ce livre a cependant un intérêt : il permet de compléter la culture générale scientifique, même si les auteurs sont nettement moins à l’aise avec la biologie qu’avec la physique et l’astronomie. Enfin, pour les lecteurs pressés, l’introduction contient déjà tous les raisonnements qui noircissent les 509 pages qui suivent.
Pierre FRANÇOIS
« Dieu, la science, les preuves, l’aube d’une révolution », par Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies aux éditions Guy Trédaniel. ISBN 978-2-8132-2585-6.
(1)Le dictionnaire « Trésor de la langue française » indique à « solution » (https://www.cnrtl.fr/definition/solution) :
« Étymol. et Hist. 1. a) 1119 soluciun « explication » (Philippe de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 2600); b) déb. xiiies. « ce qui dénoue une difficulté » (Vie du Pape Clément, 1040 ds T.-L.); 2. a) 1314 méd. solution de continuité (Henri de Mondeville, Chir., éd. A. Bos, t. 2, p. 24); b) 1680 au fig. solution de continuité « rupture (entre deux personnes) » (Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 2, p. 1012); 3. a) 1690 « action de dissoudre une substance dans un liquide » (Fur.); b) 1821 « mélange homogène résultant d’une dissolution » (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog., t. 1, p. 253). Empr. au lat.solutio « action de délier, de dissoudre » d’où « action de résoudre une difficulté, un problème »…
Rem. Les dict. révèlent une évolution de la synon. de solution et dissolution. Au déb. du xixes., ils s’appliquent indifféremment à « l’action de dissoudre » et au « résultat de cette action » puis progressivement la synon. n’est plus notée que pour « l’action de dissoudre ». Dans la docum. les ex. de solution au sens « action de dissoudre » sont rares excepté dans la mise en solution: Ce traitement produit également la mise en solution de ciments ferrugineux ou alumineux, mais elle est beaucoup moins intense que celle obtenue à l’aide des techniques qui viennent d’être décrites (Id., ibid., p. 67) et mettre en solution (v. Guillet, loc. cit.). Dans le sens « résultat de l’action de dissoudre » il n’y a plus d’équivalence auj. entre solution et dissolution sauf à propos de la colle pour pneumatique (v. dissolution B 2)…
Solution de continuité. Séparation, division de parties d’une chose abstraite ou concrète. Synon. hiatus, rupture.
A. − MÉD., vieilli. Division anormale, totale ou partielle (plaie, fracture) se produisant dans un tissu, un organe dont les éléments constitutifs sont habituellement continus. Ces plaies, en effet, intéressent à la fois les parties molles et les os sur les articulations, et la présence d’une surface osseuse au centre de la solution de continuité les distingue éminemment des simples coupures (Nélaton,Pathol. chir., t. 1, 1844, p. 221).Peut-être la maladie procède-t-elle d’une infection directe par des germes répandus dans les litières ou dans les sols, la pénétration s’opérant à travers le tégument, au niveau d’une solution de continuité (Nocard, Leclainche,Mal. microb. animaux, 1896, p. 624).
♦ Solution de contiguité. Séparation de parties anatomiques habituellement en contact (d’apr. Man.-Man. Méd. 1980, Méd. Biol. t. 3 1972).
B. − Littéraire
- Rupture intervenant dans la continuité d’une chose concrète. Le pilier nord-ouest de la coupole de Saint-Savin présentait de nombreuses fissures verticales qui indiquaient une solution de continuité dans la maçonnerie (Mérimée,Ét. arts Moy. Âge, 1870, p. 132).[Dans les dépôts métalliques directs] si la couche protectrice [du support] ne présente pas de solutions de continuité, il est évident que l’ensemble possédera une résistance à la corrosion supérieure à celle du métal primitif (Gasnier,Dépôts métall., 1927, p. 29).
− P. plaisant. Déchirure, accroc. Mon pantalon, en un certain endroit, avait été affligé d’une solution de continuité (Fabre,J. Savignac, 1863, p. 13). - Au fig. Interruption survenant dans la continuité d’une chose abstraite. Avec l’établissement du suffrage universel, avec la réforme de la Chambre des Lords, (…) l’Angleterre du XXesiècle, arrivait ainsi, sans révolution ni véritable solution de continuité, à donner le modèle du type des démocraties occidentales (Vedel,Dr. constit., 1949, p. 40):
- En un mot, dans les sciences physiques, en chimie par exemple, le surcroît de complication tend à combler les distances, à manifester les analogies, à effacer les solutions de continuité, à favoriser l’induction philosophique en affaiblissant par cela même l’importance des caractères différentiels qui servent de base à la détermination et à la classification scientifiques… Cournot,Fond. connaiss., 1851, p. 204. »
(2)L’expérience de Milgram (https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram#Dans_la_culture_populaire), qui a été mise en scène dans le film « I… comme Icare », consiste à tester le degré de soumission d’un individu à une autorité qui lui ordonne une action faisant souffrir autrui.
Il est d’autant plus étrange que l’auteur fasse l’impasse sur ce fait qu’ils parlent par ailleurs de la « banalité du mal » développée par Hannah Arendt à la même époque (1963 pour les deux publications) que fut faite l’expérience de Milgram. Il y a là un manque de cohérence dans le raisonnement global, ce qui est surprenant de la part de scientifiques.
(3)https://www.mamma.ch/fra/l-avortement/ce-que-les-chretiens-disent-au-sujet-de-l-avortement/, http://www.gallican.org/avortmen.htm
(4)Ste Apolline d’Alexandrie se suicide, le nom de la seconde sainte n’a pas été retrouvé.
(5) in « Où Dieu pleure ».