Théâtre : « Les Résidents », de et par Emmanuelle Hiron en tournée à Épinal, Rouen, Draguignan, Aubusson.

Réalisme mis en scène.
« Les Résidents » est du « théâtre documentaire ». Si on utilise la notion de sérieux comme axe de symétrie, c’est le pendant de la fausse conférence. Cette dernière est un pastiche de conférence, le « théâtre documentaire » est une documentation réaliste brute qui se donne des airs de théâtre. Et c’est d’ailleurs bien du théâtre. 
La première fonction de la représentation était la sacralisation, on la retrouve aux origines avec les mystères d’Éleusis, elle perdure jusqu’au Moyen Âge avec les mystères et si le vaudeville puis le boulevard s’intéressent plutôt à ce qui se passe du côté du sacrum que des liturgies officielles et publiques, il y a là une étymologie qui n’a rien d’innocent (les proctologues en savent quelque chose, eux qui se font régulièrement agresser du fait des actes commandés par leur fonction).
La seconde fonction du théâtre est la contestation de ce qui se fait à une époque donnée. Si on reprend l’exemple de l’Antiquité, Phrinicos écrit et fait jouer « La Prise de Milet » l'année même de l'événement en -494, et cela lui vaut une amende « pour avoir rappelé les malheurs du peuple » (c'était une colonie d'Athènes, que cette dernière avait abandonné à son sort). Plus prudent, Eschyle monte "Les Perses", qui montre l'horreur de toutes les guerres devant un public d'anciens combattants en -472, huit ans après Salamine. Sophocle commet en -440 « Antigone », Euripide fait jouer « Les Troyennes », réquisitoire contre les génocides alors que quelques mois avant Athènes avait organisé une expédition punitive sur l'île de Milo, en -415, Aristophane écrit « Lysistrata » en -412 (la grève du ventre pour obtenir que les maris arrêtent de faire la guerre) et « L'Assemblée des femmes » en -393 (pour leur émancipation politique)… Si, au Moyen Âge, le théâtre est chassé des églises puis de leurs parvis, c'est bien parce que les farces qui entrecoupaient les mystères ridiculisaient – souvent de façon peu fine – les clercs.
Mais revenons en aux « Résidents ». Le décor évoque une salle de réunion vide : trois chaises empilables, au pied de l’une d’elle une bouteille d’eau, au fond un écran. Projections brutes, sans le moindre montage ou effet (l’effet pouvant être de simuler un enregistrement parfois imparfait) et confession de la gérontologue alternent. On croit au personnage sans difficulté. L’authenticité des propos est indiscutable tant ils nourrissent la réflexion. Aucun misérabilisme n’alimente ces considérations sur la vie des pensionnaires de maisons de retraite, au contraire, on sent combien le corps médical cherche à préserver la dignité des personnes et à positiver leur vie. De ce point de vue, le propos est d’autant plus enrichissant. On peut certes regretter l’absence de mise en scène apparente (il y en a bien une, mais qui tend vers l’hyper-réalisme), mais, trop visible elle aurait décrédibilisé le texte en lui donnant une apparence de fiction. On n’est pas là dans du théâtre de distraction, c’est très clair (et c’est là qu’on rejoint, par exemple, « Les Troyennes »), on est dans la reconstitution vivante et crédible d’un débat intérieur instructif et trop peu souvent entendu.
Pierre FRANÇOIS
« Les Résidents », de et par Emmanuelle Hiron, d’après une idée originale d’Emmanuelle Hiron et Laure Jouatel. Collaboration artistique : David Gauchard, Compagnie l’unijambiste. 
En août au Théâtre Fort Antoine à Monaco (tél. +377 93 15 80 00). le 19 octobre à l’ATP des Vosges à Épinal (88, tél. 03 29 82 00 25), les 9 et 10 novembre au Centre dramatique national de Normandie-Rouen (76, tél. 02 35 70 22 82). Du 14 au 18 novembre au Théâtre en Dracénie de Draguignan (83, tél. 04 94 50 59 59). Le 28 ou 30 novembre au Théâtre Jean Lurça d’Aubusson (23, tél. 05 55 83 09 09).

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