Feuilleton : « Chaînon manquant », par LTL : épisode 5.

— J’arrive !
— C’était Adèle, sa voisine. Elle le sommait de lui ouvrir.
— Ah, dit-elle, enfin !
— Que me vaut l’honneur de ta visite ?
Jean avait l’habitude que la jeune femme lui rende visite. Il l’appréciait. Mais comme une amie. Il ne pouvait rien se passer d’autre entre eux. Il savait qu’il lui plaisait, mais pourquoi lui donner de faux espoirs en leur faisant perdre du temps à tous les deux? Il n’était pas du tout attiré par elle.  Et c’était cela le problème principal. C’était un grand frère, bienveillant envers elle. Il savait qu’elle méritait mieux qu’une relation de substitution, qu’elle méritait un homme qui l’aimerait vraiment. Et il le savait, c’était possible. Il aurait pu, en pensant surtout à lui, lui faire croire monts et merveilles, pour une histoire d’un soir. Mais non. Et c’est ce qu’elle aimait chez lui. Elle connaissait son sens de l’éthique et pour elle cela avait bien plus de valeur que de simples biceps bien musclés. 
Elle avait pris l’habitude de trouver multiples prétextes pour débarquer chez lui. Ainsi Jean n’était pas alarmé par sa visite. Pourtant celle-ci affichait une mine inquiète. Elle lui dit :
— Jean, j’ai vu des hommes bizarres traîner devant chez toi hier ! Ils portaient des cagoules… et ont laissé un mot sur ta porte. Tu l’as vu ?
— Oui, bien sûr !
— Ça n’a pas l’air de te déranger !
— Non, je pense qu’on a cherché à me faire peur…
— Mais pourquoi donc ?
Jean prit un air malicieux et répondit :
— Peut-être que je dérange.
— Toi ? Un professeur de fac bien pépère ?
L’homme fronça un peu les sourcils puis sourit :
— Oui. On dirait que je dérange. Et si je dérange, c’est bon signe, c’est que j’ai touché à quelque chose de sensible.
Adèle semblait inquiète. Et le relança :
— Mais, Jean… si ces hommes ont voulu te faire peur, ils pourraient aller plus loin, non ?
— L’avenir nous le diras. Mais tu sais Adèle, il ne faut pas céder à la peur. Il peut tout nous arriver, chaque seconde. C’est en ne faisant rien qu’on ne risque rien.
— Puisque tu es si sûr de toi… »
La jeune voisine avait peur pour le professeur. Elle savait qu’il avait un côté insouciant. Elle aurait aimé lui faire entendre raison, mais il était aussi buté.
Paul était toujours à son hôtel. Il avait l’habitude de ce genre d’endroit, luxueux mais impersonnel. Il avait une maison à lui mais n’y mettait jamais les pieds. Jeune homme, il avait tout misé sur l’aventure, la découverte d’autres pays, d’autres cultures…. Mais à force le voyage était devenu une habitude et il en voyait maintenant les contraintes, les inconvénients. Il pensait souvent au magicien qu’il avait rencontré et se dit que le mystère existait partout, même à côté de soi, sans avoir besoin d’aller à l’autre bout du monde. Et il se dit : « Heureusement que j’aie fait cette découverte. En l’ignorant, j’aurais pu m’imaginer avoir tout vu et tout entendu. »
La magie était devenue quelque chose… d’envisageable. Il plaisantait avec ses hôtesses parfois en leur disant que ceci ou cela était réapparu « comme par magie ! ». Mais il voulait en savoir plus. Ce magicien était un avant-goût de son aventure : ce dernier lui avait dit qu’il serait « contacté » et avait voulu le préparer.
Le téléphone de la chambre de l’hôtel sonna. Paul décrocha :
« Oui ?
— Monsieur, un homme demande à vous voir. Il vous attend dans le hall. »
Paul descendit les escaliers en toute hâte, ne voulant pas attendre l’ascenseur. Il se demandait qui voulait lui parler, sachant que ce n’était pas l’habitude de ses collègues de le déranger en plein repos.
Dans le hall d’entrée, celui qui l’attendait avait un air étrange. Il portait un grand imperméable et un grand chapeau, alors qu’il faisait chaud. Il dit à Paul :
« Monsieur, il faut que je vous parle.
— C’est à quel sujet ? 
— Je dois vous poser quelques questions. Vous connaissez cet homme ?
Paul regarda la photo que lui tendait le visiteur. Il lui répondit surpris :
— Mais… Oui, je l’ai rencontré en escale en Irak… C’est un archéologue, nous avons discuté de ses travaux de recherches. 
— Que vous a-t-il dit ?
— Il m’a juste dit que ses recherches l’ont amené à se poser des questions sur le début de l’Humanité. Que lui est-il arrivé ? Est-ce qu’il va bien ? 
— Il est mort.
Paul fut stupéfait. Il dit :
— Vraiment ?
— Oui, vraiment.
— Mais qui êtes-vous ?
— Je suis un détective privé. On m’a chargé d’une enquête. 
— Comment est-il mort ?
— On pense qu’il a été empoisonné. Et je pense que ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Vous a-t-il dit quelque chose de particulier ? Savez-vous s’il a des ennemis ?
— Je n’en sais rien. 
— Si des informations vous reviennent, contactez-moi. »
Il lui transmit sa carte professionnelle. L’enquêteur s’appelait apparemment John Petit. Il laissa Paul en plein désarroi. Il choisit de faire quelques recherches sur internet. En effet, un archéologue avait été empoisonné en Irak, sur le lieu-même de ses recherches. Le site internet indiquait :
« Jérôme Patient a été assassiné la semaine dernière par empoisonnement. Son décès intervient peu avant la présentation du résultat de ces recherches. L’archéologue était connu pour ses fouilles, ayant découvert des preuves d’antiques civilisations, qu’il qualifiait d’intelligentes. »
L’article se terminait par ces mots. L’Irak… Il avait fait de nombreuses escales dans ce pays, sans jamais avoir eu le temps d’en découvrir les gens ou les paysages. Il ouvrit sa boîte mail, il avait reçu un message de Jean. Celui-ci lui écrivait :
« J’ai eu un petit souci hier. Ne t’inquiète pas, rien de grave. Mais je dois te parler au téléphone. Quelle heure t’arrange, avec le décalage horaire ? »
Les deux frères parvinrent à se téléphoner. Paul lança à Jean :
« Qu’est-ce qui se passe ?
— Rien de grave… Mais je voulais te prévenir.
— Me prévenir ? Mais de quoi ?
— J’ai reçu des menaces…
— Quoi ? Avec une arme ?
— Non… C’est juste un mot qui a été accroché à ma porte. On me dit qu’on « connaît mes recherches » et que j’ai mis les pieds « là où il ne faut pas ».
— Comment ça ? Quelles recherches ?
— Cela fait un moment que je me pose des questions… Et j’ai trouvé ce livre…
— Jean, cette femme qui raconte ses voyages dans d’autres dimensions, ce n’est pas possible !
— Moi j’y crois !
— C’est ça qui a poussé un fou à te menacer ? Comme si cela en valait la peine ! 
— Plusieurs fous ! Adèle a aperçu plusieurs individus !
— Mais qui était-ce donc ?
— Je ne sais pas…le seul indice dont je dispose est ce dessin, laissé à la fin du mot… le dessin d’un serpent. 
Soudain, Paul se souvint de quelque chose. Sur la carte de visite de l’enquêteur était dessiné, en dessous du nom, un serpent également. Le pilote fit l’association d’idée et se demanda si les deux histoires étaient liées.
— Jean… moi aussi il m’arrive des choses bizarres…
— Vraiment ? 
— Oui. Un homme est venu me trouver à mon hôtel. Tu te souviens de l’archéologue que j’avais rencontré en escale ?
— Oui, bien sûr !
— Et bien… il est mort !
— Quoi ? Mais c’est inquiétant ! Qu’est-ce qui s’est passé ? 
— On l’a empoisonné sur son lieu de travail. L’homme qui est venu me l’apprendre est un détective et voulait savoir ce que je savais sur cet homme assassiné. Je n’ai rien pu lui dire…
— Un rapport avec ce qui m’est arrivé ?
— Oui ! Tu m’as parlé de serpent ? Dessiné sur le mot accroché à ta porte ?
— C’est exact… et donc ?
L’enquêteur m’a donné sa carte de visite. À côté de son nom et de sa profession, est dessiné également un serpent. Un serpent…bleu.
— Attends ! Je regarde !
— Jean jeta un coup d’œil sur le mot en question et, en effet le serpent qui y figurait était bleu lui aussi.
— Le mien aussi est bleu ! lança le professeur, à moitié enthousiaste, à moitié craintif.
— Ça ne peut pas être un hasard ! Je ne sais pas ce qui se passe…. En ce moment plein d’hurluberlus viennent me chercher ! Toi je comprends, tu le cherches, à force de t’intéresser à des choses qui sortent de l’ordinaire. Mais moi… bon c’est vrai, j’ai cru au tour de magie de la pièce de monnaie. Mais c’est tout ! 
— Nous sommes, de toute évidence, tous les deux surveillés. Je ne sais pas qui est visé. Soit c’est toi, soit c’est moi. 
— C’est toi, à tous les coups. »
Après avoir raccroché, Paul se souvint que le magicien lui ait dit qu’il serait prochainement « contacté ». De quoi parlait-il ? Cela avait-il un lien avec l’archéologue ?
« Vous n’êtes pas votre tête ! »
Paul avait toujours fait confiance à son cerveau. C’était, il en était sûr, une force, son atout majeur. Bien sûr qu’il n’était pas « que » sa tête. Il avait un corps, un cœur. Pourtant, il se méfiait des deux. Il avait connu des femmes. Mais il avait du mal à faire confiance. Elles étaient belles, intelligentes, mais il manquait quelque chose pour qu’il s’attache. Il ne savait pas quoi. 
Ces femmes, elles avaient tout pour elles. Mais lorsqu’il lui arrivait encore de s’attacher, elles ne manquaient pas de le faire souffrir. Horriblement. Son corps lui demandait de trouver une femme, mais il savait que malgré tout elle aurait la capacité de lui briser le cœur. Et cela, il ne le voulait pas. Heureusement que sa tête, pensait-il, l’empêchait de se laisser atteindre. 
Il monta dans l’avion.

 

Photo : LTL

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