Dur mais humain.
Parler de la torture, de l’innocence et de la culpabilité sans manichéisme, c’est ce à quoi parvient la pièce « La jeune fille et la mort » qui revient à Paris après avoir connu le succès deux ans de suite à Avignon et en tournée.
Car « La jeune fille et la mort » pose la question des réconciliations nationales. L’action se passe en Argentine, alors qu’il s’agit de redonner une unité à une société dans laquelle se croisent anciens tortionnaires et torturés. Le sujet est lourd et traité comme tel. Si le tout début de la pièce irrite un peu du fait de sa lenteur et de l’épais mystère qui l’habite, la bascule, soudaine et brutale, fait entrer de plain pied dans l’enjeu : quelle est la dette due à une ancienne torturée qui en porte les stigmates dans sa vie quotidienne et intime ; comment traiter celui qui a été reconnu comme un possible tortionnaire ?
À partir de là le jeu est complètement crédible. Le public est happé par la violence perpétuelle et sous-jacente tant des propos que des faits qu’ils évoquent. D’autant plus fortement qu’on sait que l’auteur – Ariel Dorfman – est un ancien conseiller du président Allende qui a dû quitter le pays lors de la dictature du général Pinochet. Il constate dans un entretien paru en 2011 dans « The Guardian » que – ce qui est une fois de plus vérifié – la pièce émeut toujours du fait que le public est invité dans une tragédie sans solution.
Les noirs qui séparent les tableaux n’ont pas qu’une fonction de ponctuation ; ils sont autant de points de suspension qui entretiennent le sentiment de fragilité de l’équilibre trouvé entre les deux époux face à leur prisonnier. Tous les personnages sont criants d’humanité, tout le catalogue des sentiments les plus contradictoires qui nous animent y passe, et on y croit à chaque fois. Seule réserve : mieux vaut aller voir cette pièce un jour où on a bon moral.
Pierre FRANÇOIS
« La jeune fille et la mort », d’Ariel Dorfman. Avec Luc Baboulene, France Renard, Philippe Pierrard. Mise en scène : Massimiliano Verardi. Du mercredi au samedi à 21 heures, dimanche à 17 heures jusqu’au 19 mars à La manufacture des abbesses, 7, rue Véron, 75018 Paris, tél. 01 42 33 42 03, http://www.manufacturedesabbesses.com/index.php
Photo : Pierre Francois