Un bonheur d'adaptation, par Difouaine.
S'il ne devait rester qu'un seul livre dans le panthéon français de la littérature, pour moi, ce serait ce chef d’œuvre de Flaubert ! Mais c'est toujours pareil : il suffit de dire « chef d’œuvre » pour que toute traduction ou adaptation soit ressentie comme une traîtrise, par nature. Car comment incarner une langue, un style, une intrigue si maîtrisés sans prendre le risque de décevoir un lecteur admiratif et exigeant ? C'est pourtant le pari que vient de gagner l'équipe accueillie au Théâtre de Poche-Montparnasse.
D'abord, chapeau bas pour l'adaptation : elle a su conserver l'esprit et la lettre de ce long roman pour une représentation théâtrale d'une heure et demie. Bien sûr, il a fallu faire des coupes, conserver l'essentiel sans dénaturer le sens. Le passage du bal féerique à la Vaubyessard a passé trop vite mais le rythme, soutenu, m'entraînait déjà plus loin, dans le fiacre adultère de Rouen, savoureux !
La mise en scène aussi a retenu mon attention : incarner l'ennui d'une provinciale frustrée par la sobriété des déplacements, la variété des sons (instruments variés, chansons ou bande son, véritable décor ou reflet de l'âme) représentait un tour de force. Tout cela ne serait rien sans les quatre comédiens-musiciens qui se distribuent les rôles principaux. Si j'ai un peu regretté le corps et la voix trop voluptueux de la comédienne au départ, j'ai trouvé les trois autres acteurs excellents de bout en bout. Je me souviendrai longtemps du doucereux et séducteur Rodolphe/Homais/Lheureux, « du » très bon Madame Bovary mère/Léon, du si brave « Charbovari ». J'ai été particulièrement saisie par la scène où Emma est acculée à ses dettes et se retrouve seule, coupée de toute la société.
Cette adaptation originale du roman de Flaubert donne immédiatement envie de se (re)plonger dans cette œuvre magistrale, froide et ironique, étude sans concession des « mœurs de province », que la présente représentation, si intéressante mais forcément trop courte, n'aura pas permis de déguster entièrement à sa juste mesure. Comme une mignonnette, elle donne envie de boire au magnum. Bravo !
Difouaine
« Madame Bovary », de Flaubert, adapté par Paul Emond, mis en scène par Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps.Avec : Gilles-Vincent Kapps, Félix Kyssyl ou Paul Granier, Sandrine Molaro et David Talbot. À partir du 12 novembre 2015, du mardi au samedi à 19 heures et le dimanche à 17 h 30 au Théâtre de Poche-Montparnasse, 75, boulevard du Montparnasse 75006 Paris, métro Montparnasse-Bienvenue. Réservation : 01.54.44.50.21 ou www.theatredepoche-montparnasse.
Photo : Brigitte Enguerand