Déferlante, par Difouaine
Tout commence par une respiration, celle qu’on prend pour donner à son partenaire le tempo, l’impulsion et l’énergie du départ. Celle qui permet de plonger dans un monde qui bouleverse les émotions. Puis le déferlement des notes, saccadées, syncopées, me transforme instantanément : je ne suis plus que tension. Jacques Trupin déploie son bandonéon comme une extension de son corps, les soufflets n’en finissent pas d’aller et venir, vagues sensuelles ou claques brutales. « Et [mes] yeux [captivés] suivent le jeu nerveux et les doigts secs et longs de l’artiste1 ». Il part en arrière, le pied levé, les yeux fermés. Vincent Viala, épaules rentrées, courbé sur son piano, se déhanche pour épouser le rythme comme s’il dansait avec son tabouret. Ils se regardent peu ou seulement pour sourire de petits accrocs sans importance dans ce flot de vitalité. Ils se regardent peu mais se dégage pourtant, à travers leur amour du tango contemporain, une complicité intense, communicative.
Les compositions de Jacques Trupin sont belles, prenantes, se ressemblent mais varient habilement sans nous lasser. Et c’est la même tension qui reprend à chaque fois et qui conduit à la libération finale, comme un orgasme. Le tango est une musique sensuelle, quasi érotique, et j’imagine sans peine deux danseurs dans la pénombre, deux amants fusionnels qui n’ont pas besoin de parler pour s’entendre à merveille. J’imagine aussi la mer, furieuse, jalouse, qui s’abîme de passion. Grande amatrice de tango, j’ai été transportée par « Parfum d’écume », spectacle dense, si danse.
Difouaine
« Parfum d’écume » en duo, de Jacques Trupin. Jacques Trupin, bandonéon et Vincent Viala, piano. Jusqu’au 28 février 2015, du jeudi au samedi à 21h30. Au Théâtre de l’Essaïon, 6, rue Pierre au lard 75004 Paris. Tél. : 01.42.78.46.42. http://www.essaion-theatre.com. Métro : Hôtel de ville.
(1) L’Accordéoniste, chanson de Michel Emer.