Expo : « Objectif mer : l’océan filmé », au musée de la Marine, à Paris.

C’est depuis le 17 novembre que le Musée de la marine – une institution parisienne alors que c’est le moins parisien des musées puisqu’il n’est qu’un de ses sites d’exposition, avec Brest, Rochefort, Port-Louis et Toulon – a rouvert après six ans de travaux.

L’architecture en a été complètement repensée, en tenant compte à la fois de la façon dont il avait déjà été modifié pour l’exposition universelle de 1937 et de l’univers fluide et courbe qui est celui de la mer. Si l’on est plus accueilli par le canot de l’empereur, parti là où il a navigué, à Brest, on ne se sent pas moins immergé dans le monde maritime dès la première salle. Le public a manifestement plébiscité ces choix architecturaux : les six premières semaines après la réouverture ont vu défiler presque autant de personnes – 74 500 – que pendant toute l’année 2016.

À côté des collections permanentes, le site de Paris a déjà inauguré sa première exposition temporaire – « Objectif mer : l’océan filmé » – conçue en collaboration avec la cinémathèque française.

À chaque période correspond une vision du monde maritime. L’époque des peintures et des lanternes magiques cherche à faire connaître un univers que la plupart des gens n’ont jamais vu. La mer est alors présentée comme mystérieuse et dangereuse en même temps que l’on cherche déjà à en traduire sa perpétuelle ondulation. C’est ce que fait, par exemple, Courbet avec son tableau « La Vague », quand il la personnifie tout en accentuant sa dimension.

La photo et son prolongement, le cinéma, cherchent à la fois à explorer ce qui se passe sous la surface et à le décrire de façon objective. Des techniciens passionnés modifient le matériel utilisé à terre et inventent qui une cloche de plongée particulière – la photosphère de Williamson –, qui des tubes pour accueillir les caméras – les caissons sous-marins de Rebikoff… Aussitôt, à partir des années vingt, la poésie de la mer émerveille les opérateurs, qui en rendent compte dans leurs prises de vues.

Les années cinquante voient apparaître, en réponse à la télévision naissante, le cinérama qui offre une vision panoramique grâce à la synchronisation de trois projecteurs sur un écran courbe. L’exposition présente les seuls projecteurs complets existant encore en Europe dans une collection publique ainsi que le film – tourné selon ce procédé – Windjammer qui relate l’expédition du bateau norvégien Christian Radich. On a alors pris le virage du documentaire.

Pourtant, depuis les origines du cinéma maritime, un sillon n’a pas cessé d’être cultivé : celui du romanesque. Pirates et mutins en sont les principaux héros, qui évoquent l’utopie bien terrestre d’une société autogérée en même temps que la réalité d’une vie pénible dont le salaire est le danger. À cet égard, le mutin – cf. Les Révoltés du Bounty – rejoint l’ouvrier qui se révolte contre sa condition. Afin de montrer que cette veine est ancrée dans une réalité bien tangible, le musée a choisi d’exposer également quelques-unes des armes – tromblon, sabre, hache… – utilisées lors des batailles navales. Le militaire est une des autres vedettes du genre, avec une mention spéciale pour les films se déroulant dans des sous-marins qui, au lieu d’offrir le spectacle de la mer – cf. Le Crabe tambour – se concentrent sur celui de la cohésion et de la fragilité de l’équipage, comme dans Das Boot ou Le Chant du loup.

En marge de ces thématiques et dès les débuts, certains cinéastes se sont penchés sur les conditions de vie et les à-côtés, le plus souvent sentimentaux, de la vie de marin. L’on pense alors aux Damnés de l’océan et Une Fille dans chaque port qui étaient muets, ou à la trilogie Marius, Fanny, César, et enfin à Quai des brumes (1938) ou Querelle (1982).

L’exposition, qui montre déjà la tête de requin ayant servi pour Les Dents de la mer, consacre une salle au film Titanic, une des vitrines contenant la caméra Panavision modifiée qui permit les prises de vues sous-marines. On retrouve le même type de matériel, mais au service d’un genre très différent qui traverse toutes les époques, celui du documentaire, avec la caméra-torpille destinée à filmer (avec un succès relatif) les bancs de poissons pour le film Océans de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud.

Incidemment, cette exposition est l’occasion de se rendre compte que nous n’en sommes qu’au début de l’exploration du relief sous-marin, car si l’invention du scaphandre autonome – comme celle de son cousin à casque « pieds lourds » – remonte aux années 1840, il lui a fallu un siècle pour être mis au point dans sa forme actuelle, avec détendeur. La science et le cinéma ont donc encore bien des choses à découvrir et à nous partager.

Pierre FRANÇOIS

« Objectif mer : l’océan filmé », jusqu’au 5 mai 2024 : Musée de la marine de Paris, Palais de Chaillot, 17,Place du Trocadéro, 75016, Paris. Ouvert de 11 h à 19 h tous les jours sauf le mardi, nocturne le jeudi jusqu’à 22 heures. Dernier accès 1h avant la fermeture du musée. Fermeture les 1ᵉʳ janvier, 1ᵉʳ mai, 14 juillet et 25 décembre ; à 17 h les 24 et 31 décembre. Métro Trocadéro, sortie n°6 « Avenue Paul Doumer – Musée de l’Homme ». Bus 22, 32, 30, 63, 72. Navette fluviale, arrêt Tour Eiffel. Réservation : https://billetterie.musee-marine.fr/content#

Tarifs de 9 à 15 €, gratuité pour moins de 18 ans, 18-25 ans ressortissant de l’Union Européenne, porteur du Pass Éducation, membres des associations professionnelles de la conservation (ICOM, ICOMOS ICMM, ICAM, AGCCPF…) personnel militaire et civil actif du ministère des Armées, bénéficiaire des minimas sociaux et demandeur d’emploi, personnes en situation de handicap et un accompagnateur, autres gratuités. Adaptation aux différents handicaps.

Photo : Musée national de la marine.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *