Théâtre : « Le Chef-d’œuvre inconnu », adaptation et jeu par Catherine Aymerie, mise en scène de Michel Favart, d’après la nouvelle d’Honoré de Balzac, au Théâtre Essaïon.

La suggestion de l’art.
Pour se prononcer sur la mise en scène de Michel Favart, on pourrait s’emparer de la citation de Simonide de Céos, poète lyrique grec, « la peinture est une poésie muette et la poésie est une peinture parlante. » Au Théâtre Essaïon, le spectacle, magistralement interprété par Catherine Aymerie, lie l’art graphique, la poésie, le jeu théâtral et la vie.
C’est un seul en scène qui, en réalité, cache et déploie quatre personnages à la fois et qui fournit toute l’atmosphère pour donner vie à ce tableau parlant.
Comme le titre l’induit, on est séduit par ce spectacle énigmatique qui favorise l’imaginaire. Tout l’ensemble, bien orchestré, du jeu, du décor, de la lumière et du son, nous plonge dans une ambiance sans souci de vraisemblance. On jette un œil sur l’art – dans toutes ses facettes – qui flotte entre le réalisme, le concret de l’acte présent et l’irréel – le fantastique de l’imagination.
En cela, l’on suit l’affirmation de Frenhofer, peintre fictif de l’œuvre, « la mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer. » Le réel et le fictif se mêlent, comme les couleurs sur la palette. On ne copie pas ici le réel, on le suggère.
La parole et les gestes révèlent toutes les pulsions créatives. Nous sommes emportés par des sensations de désir, de curiosité, de méditation, où les silences – comme le clair-obscur des maîtres baroques – jouent le rôle essentiel de contraste avec les tonalités fortes que sont les excès de la vie. C’est la toile de Nicolas Poussin qui prend vie. La figure secrète et inaccessible du récit, vient pour nous faire entendre sa voix. Cette figure féminine, protagoniste d’une image qui restera pour toujours interdite aux regards, sort du cadre et se fait porte-parole de cette histoire. Une féminité qui fait entendre sa voix au-dessus des opinions des hommes. Sans juger, elle a pris la décision de nous parler et cette figure nous rend la liberté de percevoir ce que l’on retient de plus opportun pour nous. C’est la liberté de la création artistique, un accès à l’art absolu, qui ne reste que dans nos esprits. Le chef-d’œuvre reste inconnu à nos yeux, la magie de l’art théâtral et pictural se dévoile à notre imaginaire.
L’actrice donne des coups de pinceau, en montrant les nuances des sentiments et les ombres du silence. Elle nous parle, elle nous regarde, comme le regard qu’on pose sur un portrait. Mais alors, on se questionne : la vraie peinture inconnue, n’est-ce pas nous et notre vie ?
Carlo BIGGIOGGERO
« Le Chef d’œuvre inconnu », d’Honoré de Balzac. Adaptation et jeu : Catherine Aymerie. Mise en scène : Michel Favart. Lundi et mardi à 19 h 15, dimanche à 19 h 30 jusqu’au 27 juin au théâtre Essaïon, 6, rue Pierre au lard (à l’angle du 24 rue du Renard), 75004, Paris. Métro : Hôtel de Ville, Rambuteau, Châtelet. Puis dans le festival off d’Avignon. Site de la compagnie : http://brunet-sancho.fr/
Photo : Pierre FRANÇOIS, et d’autres sur https://www.instagram.com/p/CqTw07nIuWV/

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