Livre : « Terzieff entre Ciel et Terre, rêve gothique ou drolatique », de Catherine Terzieff, chez L’Harmattan.

Spiritualité et fantastique.
Parler du purgatoire n’est pas à la mode. En rire et inviter autrui à en faire autant n’est pas courant : il s’agit d’un sujet sérieux – puisque sacré (il doit y en avoir un, là-haut, qui s’amuse de cette sacralisation païenne d’un Dieu qui justement s’est fait homme) – et notre avenir éternel en dépend peut-être. Catherine Terzieff le fait.
Mais la fille de Jean (sculpteur) et Marie (peintre et musicienne), sœur par ailleurs d’Odile (qui aspirait à la danse), de Laurent (comédien), de Marc (documentariste) et de Brigitte (sculptrice), elle-même travaillant comme réalisatrice à la télévision eût-elle été capable d’aborder ce sujet autrement que par la tangente artistique ?
On en doute. On doute encore lorsqu’on lit sous sa plume qu’elle n’a « jamais eu à cœur de poursuivre la lecture » des livres de S. F. « où [elle n’a] rien compris », sauf à prétendre que science-fiction et fantastique ne sont pas parents.
Car c’est bien en plein territoire fantastique qu’elle promène son lecteur. Qu’on en juge : ses deux frères morts lui apparaissent et viennent se plaindre – de nuit, évidemment – de leur séjour au purgatoire : la pension n’est pas à la hauteur de sa réputation ! Comme si ce n’était pas assez, « Le Penseur » et « L’Homme qui marche » ne la laissent pas se détendre tranquillement dans l’hôtel de Biron. Le fantôme de Rodin s’en mêle, Rainer Maria Rilke essaie de calmer ses angoisses et « Les Veilleurs », sculptures de sa sœur, veillent au grain. Bref, tout le monde lui délivre des messages à décrypter. Seul être de chair de la bande, son compagnon commence à la trouver drôlement parano.
On se délecte. Catherine Terzieff possède un véritable style, qui peut passer sans transition de l’illustration analogique (« ces princes de la voltige [les faucons] avalent les âmes comme autant d’huîtres ») à un réalisme d’une élégante cruauté (« je ne suis pas encore une ombre, mais pas loin ! Adieu veaux, taureaux, étalons, satyres malicieux, bouquetins diaboliques… je suis périmée ! »).
On aurait tort de croire son propos superficiel. Si parfois elle donne dans le jeu verbal (« De son poing libre, quoiqu’ankylosé, mon « Penseur » me tire vers lui. Il veut m’éloigner de ce « Marcheur » qui, ayant perdu la tête, fait des ronds de jambe, des entrechats risqués ! »), la réflexion perspicace n’est jamais loin (« l’artiste [Rodin face à son modèle] n’a pas ménagé l’ex-beauté de ce modelé [La belle Haulmière] diablement réaliste et dépouillé de toute transcendance : la vérité dans sa cruelle cruauté… ! Quelle violence chez cet amateur de femmes ! Quel compte voulait-il régler avec sa Rose, sa Camille qui bouleversa sa vie, et les autres…, toutes celles qu’il fit poser dans des attitudes impossibles à tenir sans appui, des acrobaties gênantes parce qu’impudiques pour lesquelles elles faisaient preuve de courage, d’abnégation jusqu’à s’oublier. »).
La théologie elle-même n’est pas loin, mais heureusement sans rapport avec l’aridité de l’officielle.
Elle se pose les questions de tout un chacun qui a reçu une éducation chrétienne. Le ciel nous punit-il en envoyant des maladies (p. 118) ? « L’inévitable purgatoire » serait-il « une machine à broyer » (p. 122) ? Pourquoi toutes ces âmes doivent-elles souffrir le martyr (sic) avant de gagner les vertes vallées du « JARDIN DES DÉLICES », la luxueuse adresse où trône le Seigneur ? » (p. 143) ? Mais elle ne perd jamais son humour : « Qu’en est-il de l’organigramme de cette Maison de Dieu ? Pourquoi saint Pierre ne s’est-il pas déjà présenté à mes frères, serait-il le grand absent ? » (p. 122) ; « Maman sentant sa mort prochaine – il y a quelques lunes ! – me confia s’être rendue dans une noire casemate, un confessionnal, histoire de se présenter la plus propre possible, le jour où elle serait priée de grimper dans l’Au-delà. » (p. 154).
Les réponses personnelles qu’elle apporte ne sont pas moins pertinentes. « Nous ne voulons rien accepter, alors qu’à y bien penser, la Vie et notre Après-vie sont bien conçues. » (p. 123) ; « je pleure maintenant ma mort prochaine, je pleure le sort qui nous est imposé. Je pleure de tristesse et de rage mélangées, je pleure de révolte ! Mais je pleure aussi d’avoir désappris à prier, oui, tout simplement prier ! – Et que fais-tu de la Grâce, petite vieille ? me répond ce roi des forêts. » (p. 125) ; « je ne reviendrai [dit son frère] sous aucun prétexte dans mon purgatoire païen, une maison de redressement tenue par des salopards ! Un purgatoire merdique ! Je préfère la mort ! Je ne veux pas non plus d’un Paradis sous la gouvernance de bigots, un régime de bienveillance, de béni-oui-oui, un régime qui vous émascule, un confinement de grenouilles chanteuses de bénitier, où règnent des peluches anesthésiantes ! » (p. 181 s.). Il faudrait enfin citer en entier les pages 190 et 191, une hymne tragi-comique à la miséricorde et à la communion. Pour sûr, c’est un texte qui n’obtiendrait pas l’imprimatur, mais est-il faux pour autant ? À chacun de juger, en s’amusant…
Pierre FRANÇOIS
« Terzieff entre Ciel et Terre, rêve gothique ou drolatique », de Catherine Terzieff. 233 pages, 39 photos en fin de livre de la page 198 à la page 233, ISBN 978-2-343-22382-7, 20 €.

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