Livre : « Dans les pas de Valeria », par Elísabeth Benavent, aux Éditions de l’archipel.

Catastrophique.

« Dans les pas de Valeria » est un livre écrit par une femme et qui présente ses héroïnes – quatre amies – comme aucun machiste n’oserait plus le faire.

Le livre (« quand Bridget Jones s’invite dans Sex and the city », dit le communiqué de presse) est construit comme un effeuillage. Au début, régulièrement, une description vestimentaire indique que l’intéressée porte un « jean slim », une paire de « talons vertigineux » qui font éventuellement mal et un haut « décolleté », au point qu’on finit par se demander si le texte est d’une personne ou d’un programme qui associerait automatiquement certains qualificatifs aux substantifs. Puis elles se promènent en tenues plus légères chez un amant, dans une cabine d’essayage ou dans l’embrasure d’une porte…

À ce moment du récit, les hauts deviennent transparents, histoire de laisser paraître les « mamelons brunâtres » qui « pointaient ».

Puis, une fois les préliminaires – longs, comme il se doit – terminés tandis que la situation amoureuse de chacune se complique à plaisir, les derniers chapitres offrent avec plus de détails que d’habitude une description de chacune passant à l’acte.

Qu’on ne s’y méprenne pas cependant : les éditions de l’Archipel ne sont pas la Musardine et on a pu remarquer la pauvreté du vocabulaire utilisé par l’auteur dès le début de son écrit. Laquelle est comparable à celle des scénarios de films pornographiques à ceci près que l’indigence de ses pseudo-descriptions aurait bien du mal à provoquer le moindre début de commencement d’intérêt sensuel – on ne parle même pas d’excitation – au point que dès la seconde évocation de nuit torride on saute des passages entiers tant on éprouve une impression de déjà-lu. En la matière, son style n’arrive pas à la cheville d’un auteur à petit tirage comme Patrice Obert qui, dans « Nouvelles fantasmafictioniriques » (Éditions La Lampe de chevet), qu’il détaille la scène ou non, laisse transparaître une tendresse, une délicatesse, une fusion qui nous rejoignent au plus profond de nous-mêmes.

Il semblerait que l’auteur ait quand même lu Beaumarchais (qui fit un séjour en Espagne) et que son « Boire sans soif et faire l’amour en tout temps, il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes » (Le Mariage de Figaro) lui ait inspiré (car, pour ce qui est de boire, elles se racontent toujours leurs histoires autour d’un verre) de montrer que les femmes sont capables d’en faire autant. Il semble qu’elle ait aussi lu Le Barbier de Séville puisque si aucune de ses héroïnes ne dit textuellement qu’« une bourse d’or me paraît toujours un argument sans réplique », le comportement de chacune le souligne. L’auteur a bien saisi l’idée (mais est-elle encore d’actualité?) selon laquelle « le désir nous met au pied des femmes, mais, à son tour, le plaisir nous les soumet. ». Par contre, Elísabeth Benavent n’a qu’à moitié compris le principe selon, lequel « pour obtenir une femme qui le veut bien, il faut la traiter comme si elle ne le voulait pas » et pas du tout le fait que « la jalousie n’est qu’un sot enfant de l’orgueil, ou c’est la maladie d’un fou. ». En effet elle prétend tout au long de son texte parler d’amour alors qu’il ne s’agit que de possessivité sexuelle, ce qui n’est pas du tout la même chose, sauf à supposer que nous ne soyons pas plus évolués que les gorilles et les chimpanzés.

L’auteur a-t-elle quelques lettres (et non pas « que les trois qui forment le mot : sot ! », Cyrano de Bergerac, acte 1, scène 4) ? On se le demande quand on lit « Adrian, tu as ouvert la boîte de Pandore ! Maintenant elle ne va pas arrêter de me répéter qu’elle veut devenir ma dame de compagnie » (p. 20). Ce contexte n’a aucun rapport avec la boîte de Pandore, qui n’exprime pas la répétition, mais la multitude de calamités différentes s’abattant sur l’humanité.

On reste par ailleurs perplexe quand on lit « ce qui me plaît chez lui, c’est sa façon de me mettre sur les roues arrière » (p. 33). On suppose qu’il doit s’agir d’une allusion délicatement sexuelle de la par de celle qui écrit par ailleurs « j’ai la chatte en feu. Ça te dirait d’éteindre l’incendie ? » (p. 50), « elle avait une folle envie de lui couper les burnes et d’en faire des pendants d’oreilles » (p. 102), « quand il se gara au pied de son immeuble, la petite culotte de Carmen se mit à entonner des chansons grivoises » (p. 124), « il est monté comme un taureau et il baise comme un dieu » (p. 195), ou encore (et on s’arrêtera là) le dialogue suivant : « Penses-tu ! Elle était excitée comme une guenon*, mais il lui a tenu un discours du style : « il y a trop longtemps que j’attends ce moment pour te tringler dès la première nuit ». – Je vois. Si on fait abstraction du côté salace de ta remarque, c’est plutôt un joli compliment. » (p. 132).

Il semble pourtant que l’auteur, au-delà d’un style qui intègre quelques expressions familières « un cunnilingus de derrière les fagots » (p. 32) ou « on ne voulait pas que tu te mettes la rate au court-bouillon » (p. 128), soit capable d’au moins un effet de style – « Trop transparente. C’est tout juste si elle ne laissait pas voir mon code génétique » (p. 222) – et même d’utiliser un vocabulaire soutenu : « pour la première fois depuis des lustres, Lola était littéralement réduite à quia » (p. 323). Certes, c’est le seul exemple du genre en 400 pages, mais il démontre la capacité de l’auteur à bien faire.

On lui tient donc d’autant plus rigueur du relâchement de son écriture (« J’aurais bien aimé jouer les épouses attentionnées et lui donner quelques baisers torrides dont il se serait souvenu quand la bombasse aux gros nénés passerait devant lui avec une jupe qui lui arrivait au ras du bonbon. », p. 320) ou de l’absence permanente de détail pouvant personnifier les protagonistes ou rendre une situation originale. « Nous ne fîmes aucune allusion à ma chair de poule ou à mon soutien-gorge de dentelle noire, ou les bouts de mes seins qui pointaient sous l’étoffe de la robe. De même, nous n’évoquâmes pas la bosse qui s’était formée à l’intérieur de son pantalon, ou le baiser que nous avions été à deux doigts d’échanger » (p. 226) est un exemple typique du genre, qui fait comme si toutes les chairs de poule et soutiens-gorge en dentelle noire étaient les mêmes. Quant aux seins, on ne saura jamais – l’auteur serait-elle pudibonde à ce point ? – s’ils comportent des grains de beauté, des poils, une aréole large ou sombre, etc.

Le paradoxe tient en ceci que c’est l’auteur elle-même qui décrit la qualité de son travail lorsqu’elle fait parler son personnage principal au sujet du roman qu’elle ne parvient pas à écrire : « ingénu, superficiel, infantile » (p. 85).

Hélas, Elísabeth Benavent n’est même pas rattrapée par sa traductrice. Ainsi lit-on « sa relation avec la racaille se termina en jus de boudin » (p. 16). Même si on lui fait grâce du point de savoir si on doit écrire finir en « eau » ou en « nœud de boudin », l’expression « jus de boudin » n’a jamais existé. Plus loin, on apprend que Carmen « se fichait comme d’une guigne qu’il vide toutes les bouteilles et fasse un coma éthylique et meurt (sic) étouffé dans son propre vomi » (p. 120). Si on a fini par prendre l’habitude des répétitions dans les phrases, on s’étonne quand même de la concordance des temps. Quant à « tu sais comment je suis » (p. 373), est-il utile de rappeler que « comment » introduit en principe une histoire (par exemple « comment je suis devenu barbouilleur »), un ensemble de causalités, tandis que « comme » – qui eût été approprié ici – décrit un état de fait pouvant être constaté par l’interlocuteur ?

Que ce livre, on devrait plutôt dire « ce texte », soit mauvais littérairement n’est pas un drame : le papier n’a jamais refusé l’encre. Mais il l’est aussi du point de vue de l’incitation au racisme. Car la réaction, d’autant plus prévisible que l’argument pour défendre cette traîtresse de la cause féministe est son tirage en Espagne (huit cent mille exemplaires), est de se dire que toutes les femmes sont des cons** ou d’en penser autant des Espagnols, ce qui a pour effet de s’imaginer leur être supérieur, point qui est justement le caractère principal du racisme.

Pierre FRANÇOIS

« Dans les pas de Valeria », par Elísabeth Benavent. Traductrice : Martine Desoille. 432 pages, 17 €, ISBN 978-2-8098-2693-7. Editions de l’archipel, 34, rue des Bourdonnais, 75001 Paris, http://www.editionsarchipel.com/

* l’expression doit plaire à l’auteur puisqu’on en retrouve une variante – « excitée comme une guenon en chaleur » – 28 pages plus loin.

** ici au masculin puisque pris dans son sens étymologique, cette précision étant donnée pour le cas où l’éditeur, la traductrice et l’auteur ne saisiraient pas la nuance.

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