Théâtre : « Le Paradoxe des jumeaux », de Jean-Louis Bauer et Élisabeth Bouchaud au Théâtre de la reine blanche, à Paris.

Femme d’exception.
« Le Paradoxe des jumeaux » se donne au Théâtre de la reine blanche. On a donc peu de chances de se tromper en énonçant que c’est une pièce scientifique, et c’est en partie le cas : il s’agit de la vie privée et professionnelle de Marie Curie pendant les quatre années précédant son obtention du prix Nobel de chimie, alors qu’elle vivait une liaison avec Paul Langevin, élève de son défunt mari.
Le titre est tiré de celui d’un raisonnement du même Langevin pour contester la relativité restreinte. Soient deux jumeaux, dont l’un part dans l’espace à une vitesse proche de celle de la lumière. Du fait de la théorie de la relativité et de la jonction entre l’espace et le temps il revient quelques secondes plus jeunes que son frère. Ceci du point de vue terrien. Mais si on prend pour référence le vaisseau spatial, c’est la terre qui s’éloigne de lui à grande vitesse puis qui revient, et la conclusion logique devrait être inverse. De fait la pièce non seulement expose ce raisonnement, mais surtout montre comment travaillent les scientifiques dans leurs laboratoires : en se posant des questions et en en trouvant la solution en en parlant avec les collègues.
Dans le cas des deux amants, le paradoxe s’applique en un autre sens : Marie Curie ne cesses de parler de Pierre Curie à son ancien élève, qui finit par se demander comment elle le regarde : comme lui-même ou un fantôme de son mari.
Le lien entre les dimensions privées et professionnelles est fait par la campagne de presse qui se déchaîne contre la Polonaise venant briser un bon ménage français, le beau-frère de Langevin travaillant au « Petit journal » qui était de tendance populaire antidreyfusarde et conservatrice (circonstance aggravante, Paul Langevin avait signé avec d’autres scientifiques un appel en faveur de Dreyfus).
Le personnage de Marie Curie, plein de sensibilité et de nuances, vaut à lui seul le déplacement, même si le jeu des autres est un peu à côté de la façon dont on les imagine, légèrement exalté pour l’un, d’une froideur étonnante pour l’autre. La mise en scène a fait le pari d’allers-retours entre la réalité et les fantômes qui peuplent l’imagination des protagoniste, pourquoi pas ? 
La directrice du théâtre voulait, en montant cette pièce, donner chair à une personne exceptionnelle (la seule à avoir reçu deux fois le prix Nobel, de physique en 1903 avec son mari et Henri Becquerel puis de chimie en 1911, alors qu’elle était une femme à une époque où la science était le domaine réservé des hommes : que l’on pense à Lise Meitner dont le nom ne figura pas à côté de celui d’Otto Hahn lorsque ce dernier reçut le prix Nobel de Chimie en 1944). De fait, grâce à cette pièce, Marie Curie devient non plus deux mots imprimés dans des manuels ou une savante réputée pour son austérité, mais bien une femme à laquelle on peut désormais s’identifier.
Pierre FRANÇOIS
« Le Paradoxe des jumeaux », de Jean-Louis Bauer et Élisabeth Bouchaud. Avec Sabine Haudepin, Élisabeth Bouchaud, Karim Kadjar. Mise en scène : Bernadette le Saché. Du jeudi au samedi à 20 h 45, le dimanche à 15 h 30 ; les 1er et 19 décembre à 14 h 30, 19, 20 ; 26 et 27 décembre à 20 h 45, jusqu’au 28 décembre au Théâtre de la reine blanche, 2 bis, passage Ruelle, 75018 Paris, métro La Chapelle, Max Dormoy, tél. 01 40 05 06 96, reservation@reineblanche.com, www.reineblanche.com

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