Théâtre : « L’Art de Suzanne Brut », de Michael Stampe aux Déchargeurs, à Paris.

Touchant.
« L’Art de Suzanne Brut » est une pièce touchante. Le propos de l’auteur est de parler de l’art brut*. « Vaste programme », comme aurait dit un certain général. Mais qui est ici rempli de façon invisible tant la manière est soignée, inattendue et pleine de sensibilité.
En effet, cette pièce est un monologue qui semble plus parler de spiritualité que d’art. Suzanne est une paysanne un peu simple qui a été recueillie par des religieuses contre de menus travaux. À ses heures perdues, elle peint. Parce qu’elle voudrait rendre la vérité du visage de sainte Jeanne avec qui elle discute (sainte Jeanne n’a que le droit d’écouter tant Suzanne est bavarde…) et de la Vierge Marie qu’elle a vue à l’occasion.
Ce monologue évoque la plus belle des prières : non pas la récitation de formules dépersonnalisées à force d’être répétées, mais un entretien familier et confiant. En ce sens cette pièce possède une vraie dimension spirituelle tout en n’abordant jamais le sujet de façon explicite. Qu’y est-il donc dit, si on y parle d’art brut ou de prière sans en parler ? Le quotidien d’une femme vivant sous l’occupation et qui s’exprime dans le vocabulaire de l’époque. On retrouve dans le texte des mots comme « sabot », « sarcler » (qui sait encore ce qu’est un sarcloir ou une binette dans notre société urbanisée?) ou l’expression « se monter le bourrichon ».
On croit au personnage dès la première seconde, il est tellement bien incarné qu’on n’est même pas étonné de le voir s’adresser au monde invisible. Tout le public entre manifestement en symbiose avec elle, rit discrètement à certaines de ses familiarités, retient son souffle à l’évocation de certains épisodes de sa vie, bref, se laisse mener dans cette histoire étonnante. Qu’on vienne encore nous dire que nos contemporains sont indifférents à la religion, après avoir vu une telle communion !
Pierre FRANÇOIS
« L’Art de Suzanne Brut », de Michael Stampe. Avec Marie-Christine Danède. Mise en scène : Christophe Lidon. Du mardi au samedi à 19 h 30 jusqu’au 23 décembre au Théâtre des déchargeurs, 3, rue des déchargeurs, 75001 Paris, métro Châtelet, sortie rue de Rivoli ou rue Bertin Poiré, RER Châtelet-Les Halles, sortie Porte Berger, tél. 01 42 36 00 50, www.lesdechargeurs.fr

*À l’origine « art des fous » l’art brut est à distinguer de l’art populaire ou de l’art naïf dans la mesure où il ne s’appuie sur aucune tradition. Il est devenu aujourd’hui une œuvre produite par un auteur marginal par rapport au monde de l’art, mais qui n’en recherche pas moins la beauté, au moins à ses yeux. L’artiste brut réfute le statut d’artiste et ne recherche pas une quelconque reconnaissance. De ce fait, l’art brut est foncièrement individuel, il ne peut s’agir d’une école. Et on peut encore moins le classer dans une époque, car il ne devient art que dans la mesure où il atteint à l’universel.

Photo : Pierre Francois

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