« Cette pièce est-elle à thèse ? » est la première question qui a été posée tant à l'auteur qu'au metteur en scène. En effet, le sujet traité est celui de la fin de vie et on sait ce qu'une tolérance molle, version guimauve égocentrique (« je ne pourrais pas le supporter, donc autrui non plus »), répand dans notre société depuis les années 70.
La réponse a été claire, c'est non. Il s'agit d'un spectacle qui montre sans juger les différentes réactions face à la fille qui a débranché sa mère, le jour où elle revient enfin dans la famille, après douze ans d'absence. Où l'auteur, Christelle George, qui est encore une jeune femme, a-t-elle trouvé le matériau psychologique pour traiter ce sujet avec une justesse qui faisait pleurer un public pourtant professionnel lors des premières lectures ? Elle a eu, explique-t-elle, une grand-mère atteinte par la maladie d’Alzheimer, qui est une forme de mort dans la mesure où la mémoire s'est absentée du corps, qui reste. Aussi, au jour de l'enterrement le deuil était-il déjà fait, ainsi que les observations qui allaient inspirer son œuvre. Qui ne s'intéresse qu'aux conséquences de l'acte, à la façon dont on peut essayer de se reconstruire et à ce que sont des retrouvailles en vérité.
Car personne ne réagit de la même façon face à la mort, qu'elle soit physique ou psychique, naturelle ou provoquée. De même que ce n'est pas face à la mort en soi que l'on réagit, mais face à une situation, à des liens qui se modifient autant entre les survivants qu'avec la personne partie, à son propre sens du devoir ou du respect, à une vision plus ou moins bien arrêtée de la vie, à autant de perceptions de la personnalité de la défunte qu'il y a de personnes en deuil…
C'est pourquoi les quatre personnages de sa pièce ont tous une attitude différente. Il y a le père qui a vu un monde s'effondrer sans prendre conscience qu'autour de lui il y avait des êtres sur lesquels il aurait pu s'appuyer et qui étaient autant que lui à consoler. Il y a le frère et la sœur de celle qui est partie après avoir accompli un geste qui lui pesait trop et qui réagissent plus par rapport à l'absence de la sœur qu'à la mort de la mère. Il y a surtout une somme de sentiments inexprimés, dont il faut accoucher.
Le metteur en scène, Michel Voletti, explique quant à lui que c'est une pièce dans laquelle ce sont les silences qui permettent d'exprimer les non-dits. Elle comporte peu d'ellipses : ce qui se passe sur le plateau en une heure vingt ne prendrait dans la réalité pas plus du double de temps. Il a fait le choix du style cinéma* : le jeu n'est pas théâtralisé mais sobre et travaille particulièrement les regards, qui peu à peu retissent les fils de l'affection. Par ailleurs, il utilise les lumières (des douches croisées) pour rendre le même effet qu'un gros plan à la caméra. Dans la mesure où il considère qu'une bonne mise en scène ne se voit pas tant elle sert le texte, le jeu et les acteurs, la consigne qu'il donne à ces derniers est d'être justes par rapport à leur propre personnalité.
On a là une somme d'intentions qui sont autant de signes de modestie, que ce soit de la part de l'auteur comme du metteur en scène, et en matière de spectacle c'est un important critère de qualité. Il restera juste à aller voir quelle traductions concrètes elles auront trouvées au théâtre du Ranelagh à partir du 16 septembre.
Pierre FRANÇOIS
*Il a été lui-même comédien dans plusieurs films ainsi que dans la série « Dallas »
« Un deux trois soleil », de Christelle George. Avec Delphine Depardieu, Marie Tirmont, Jérémie Duval, Michel Voletti. Mise en scène : Michel Voletti, assisté de Valérie Rojan. Du mercredi au samedi à 19 heures à partir du 16 septembre 2015 au Théâtre le Ranelagh, 5, rue des Vignes, 75016 Paris, tél. : 01 42 88 64 44, www.theatre-ranelagh.com